L'AUTRE QUOTIDIEN

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Feuilleter l’album de famille de Kevin Morby s'avère (rockement) addictif

Là où tous vont s’enflammer sur The Smile assez ennuyeux au finish, ou les Black Keys, on choisit le This is a Photograph de Kevin Morby qui, après avoir balancé quelques scuds sur ses précédents albums envoie enfin un truc, de bout en bout, consistant et jouissif.

Inspiré par le fait de feuilleter des photos d'enfance après une crise de santé familiale, les chansons aux thèmes vagues (toutes de qualité supérieure) sont très intéressantes : C'est l'un de ces rares disques qui démarre fort et ne cesse de s'améliorer, de gagner en profondeur et en résonance, à chaque morceau) partent de l'histoire personnelle et familiale de Morby pour explorer la disparition imparable mais sournoise du temps (" the living took forever but the dying was quick ", plaisante Morby sur la beauté countrifiée " Bittersweet, TN ") et les fantômes qui hantent Memphis, le cadre musicalement extra-mûr de l'enregistrement de l'album.

Les échos des maîtres du passé, tels que Lou Reed, Leonard Cohen et Bob Dylan, continuent de planer sur l'album. Pour un album enregistré dans la ville natale des légendaires Stax et Sun Studios, il y a aussi une bonne dose de soul et la franchise des débuts du rock 'n' roll. Pour un album enregistré avec un grand nombre de collaborateurs, il y a un sentiment remarquablement unifié et organique de "live" dans les procédures : la chanson titre construit un momentum en sueur, tandis que "Rock Bottom" (enregistré à Sam Phillips Recording, un studio fondé par le défunt patron de Sun Records) semble à peine sous contrôle avec son énergie joyeusement galopante.

À l'autre bout du spectre, la complainte effrayante, teintée de sépia, "Disappearing" et la méditation hypnotique et lente "A Coat of Butterflies" (avec la harpe de Brandee Younger et, dans une apparition inattendue, le maestro du jazz moderne Makaya McCraven à la batterie) sont toutes deux hantées par la fin tragique de Jeff Buckley, qui s'est noyé dans le fleuve Mississippi à Memphis en 1997. Morby ne s'écarte du fil conducteur de l'album que pour "Stop Before I Cry", une ode directe et désarmante à sa partenaire Katie Crutchfield, alias Waxahatchee.

Ils ne les font plus comme ça", déclare Morby sur le morceau "Goodbye to Good Times", qui clôt le disque en faisant référence aux héros de la soul que sont Tina Turner et Otis Redding. Une fois que This Is a Photograph s'est emparé de vous (et il le fera), il est probable que vous ne soyez pas d'accord. Ce serait juste la marque que vous n’avez rien compris au propos.

"This Is A Photograph" se projette dans l'avenir avec un œil rivé dans le rétroviseur. "Je pense que tout ceci doit se comprendre au regard de la pandémie", indique Morby. "C'est une période durant laquelle le monde entier était à l'arrêt. Le présent n'avait absolument aucun intérêt et le futur était totalement obscurci par l’actualité. Pour échapper à l'absurdité de ma vie confinée, je me suis réfugié dans le passé. À ce moment-là, c'était la seule option envisageable." A l’autre bout de la pandémie, juste avant l’été, ça cause rock, un œil dans le retro ( pour dire d’où ça vient) et l’autre, sur la tournée à venir ( Bataclan en vue… par ici). Le genre de concert à l’ouverture assez large pour faire entendre du jazz à des amateurs de country et du rock à des folkeux poil aux pattes. Genre, à ne pas rater. Et, en attendant, laissez l’album tourner, c’est juste souverain.

Jean-Pierre Simard le 16/05/2022
Kevin Morby - This Is A Photograph - Dead Oceans


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