Alabaster DePlume & les forces de l’esprit des chimères d’I-Cube
Alabaster DePlume est un être multiple : saxophoniste, poète, arrangeur, et nœud social de la scène jazz londonienne - mais Il est en premier lieu celui qui veut que vous vous traitiez avec plus de gentillesse, de douceur et de respect de soi.
Sur GOLD, son deuxième album pour International Anthem, il applique l'amour de soi comme un exfoliant, grattant la vieille peau du cynisme et exposant la surface propre et vulnérable en dessous. Il est, comme il le dit à plusieurs reprises sur ce disque, "effronté, comme un bébé", et si cela signifie que le musicien mancunien né Gus Fairbairn est souvent émerveillé par la beauté fraîche du monde, cela signifie aussi qu'il est particulièrement attentif à ses difficultés. Même lorsqu'il est réconfortant, l’album n'est pas confortable. GOLD fait suite à To Cy and Lee : Instrumentals Vol. 1, sorti en 2020, une étonnante collection de chansons que DePlume a développées à partir de mélodies qu'il a composées avec les deux hommes en question, deux hommes ayant des difficultés d'apprentissage qu'il a rencontrés alors qu'il travaillait pour une association à but non lucratif de Manchester. La même attention mutuelle est à l'œuvre dans GOLD. L'album a été enregistré en deux semaines, lors de longues sessions improvisées que DePlume a ensuite assemblées en chansons. Aucun des musiciens n'a reçu la musique à l'avance, et personne n'a été autorisé à l'écouter. L'ensemble a été forcé de se sentir à l'aise pendant les sessions, un effet extramusical qui pourrait être exaspérant si les résultats n'étaient pas aussi systématiquement époustouflants.
L'idée directrice de GOLD est d'alchimiser la peur en courage et en amour. C'est un travail difficile - il y a une douce patience dans cette musique qui suggère qu'il sait qu'il peut être brûlé à tout moment. Cette prudence tempère l'exubérance d'une chanson comme "Fucking Let Them", dans laquelle un manifeste parlé fait place à une jam cireuse de l'ensemble. Il y a une reconnaissance tacite de la douleur dans presque tous les morceaux, un rappel subtil que les gens n'ont pas tendance à rechercher la paix à moins de vivre son contraire. Une partie du génie de l'album vient de sa construction - parce que la structure a été appliquée après coup, et parce que les musiciens étaient tellement en phase les uns avec les autres, les chansons sont riches de possibilités. C'est le cas de beaucoup de musique calme, bien sûr, mais l'ensemble ne semble jamais tendre vers le mouvement suivant ; son calme ne ferait pas trembler du papier crépon.
Sur "Visitors YT15 - Krupp Steel Condition Pivot", il est entouré de toutes parts par des voix sans paroles. Son saxophone se fraie lentement un chemin parmi les voix, comme s'il testait l'acoustique d'une série de pièces de plus en plus petites pour voir si elles lui renvoient bien le son. Dans l'avant-dernière chanson "Broken Like", il reprend les mots du manifeste qu'il a énoncé dans "Fucking Let Them", la voix presque éteinte et les manières usées ; il ne peut même pas se résoudre à prononcer le mot "amour" alors qu'il répète le sous-titre de l'album.
Et pourtant, on sait qu'il est là. Alors que le dernier morceau, "Now (Pink Triangle, Blue Valley)", revient en trébuchant sur les accords sympathiques de "A Gente Acaba", avec un saxo et une guitare slide qui s'échangent des gémissements et un piano qui se dirige vers l'indignation, le chant épuisé de DePlume dans "Broken Like" reste dans l'atmosphère. L'humeur a changé. Le travail est devenu difficile, presque trop lourd à porter. Mais le message reste le même : s’apprécier pour aimer et partager la musique et le monde.
Alabaster dePlume - GOLD: Go Forward in the Courage of Your Love - International Anthem
Tout commence au tout début des années 1990, et coïncide avec l’apparition de la techno en France et l’age d’or des radios libres (Nova, FG, Ici et Maintenant, Radio Libertaire). Chimère FM, c’est l’histoire d’une amitié et d’une collaboration artistique entre Nico (I:Cube) et Fred (John Cravache).
Le groupe entend perpétuer l’esprit pionnier de ces radios indépendantes au travers de son univers onirique et légèrement hors du temps. Des heures de fausses interviews radiophoniques et d’improvisations sont archivées sur cassette audio. Les choses deviennent un peu plus sérieuses après le bug de l’an 2000. L’album de John Cravache Cité Nomades (Versatile records, 2016) voit le jour et est le résultat de longues jams sessions en studio. John Cravache signe les textes et la musique avec l’aide d’I:Cube.
L’album (centième référence du catalogue Versatile) est une évocation poétique et un exercice de style autour du thème du voyage. « La force de l’esprit réside dans ton désir de rester petit ». Pour cet album éponyme, Chimère FM devient une entité musicale protéiforme, l’album étant une suite de vignettes surprenantes. Bande son hantée, field recording pris sur le vif aux 24 heures du Mans, hommage au « tableau signé Yvette » trouvé dans la rue. Tout le monde se retrouve au fameux « Mainate Club » où le substitut de Tom Waits se produit tous les soirs. Les drones sombres laissent la place aux poussières d’étoiles (le majestueux « allergie de l’adulte »). On célèbre « les impétrants » sous forme de funk bancal à la naïveté touchante. C’est la chimérisation : « L’envahissement du corps par quelque chose qui vient d’ailleurs ». Au chant, harmonica, piano, officie John Cravache ( toujours sous les dômes) Cet album à quatre mains est produit et mixé par I:Cube. Au diable les algorithmes !
I:Cube et John Cravache présentent « Chimère FM – Chimère FM - Versatile records
En résumé : au diable les algorithmes, construisons/déconstruisons les possibles de demain, et apprécions-nous pour aimer et partager la musique et le monde. Si cela vous parle, je crois savoir pour qui voter. Pas vous ?
Jean-Pierre Simard le 4/04/2022