L'AUTRE QUOTIDIEN

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Le lundi-scobole et ses vinyles de précision

With a little help from Raymond Haines à l’image, notre sélection d’albums en quatre volets vinyle pour faire l’effort de l’écoute. Et de ce que cela fait ces galettes : Emmanuelle Parrenin, Black Flower, Jenny Hval et Shake Stew. 33 Tours, on !

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2022, Emmanuelle Parrenin clôt sa trilogie des Maisons, commencée en 1977 avec Maison Rose, et poursuivie en 2011 avec Maison Cube. Entre folk et exploration des musiques traditionnelles et électronique, Targala, la maison qui n'en est pas une est un album hors du temps pour lequel Emmanuelle Parrenin s'est entourée d'Etienne Jaumet et Cosmic Neman du groupe Zombie Zombie, Gaspar Claus, Eat Gas, Paulie Jan, Peter Combard, Léo Margue, Quentin Rollet, et Philippe Foch. Inventeuse du space-folk dans les 70’s, Emmanuelle Parrenin a continué à traquer le son depuis lors, lui offrant des écrins divers qui passe du folk poil aux pattes du début à des rencontres inopinées autant qu’électroniques, voir jazz cette fois. En tirant la tradition vers l’aujourd’hui, elle la fait progresser dans l’atemporel - un hors du temps qui sonne furieusement d’actualité et charme avec un univers propre. On dira aussi bien concept album que dernier volet d’un projet perso qui a pris le temps de se remettre d’un accident de voiture qui l’avait rendue sourde pour se faire entendre à nouveau. On peut tisser des liens aussi bien avec le Another Time de Tom Rapp qu’avec le Carl Craig de At Les. C’est pas du folk, c’est pas de la world, c’est pas de l’électro - ni du jazz. Mais c’est assurément d’actualité et totalement hors format. Dire qu’on écoute en boucle est un faible mot… Pour tous ceux qui n’auraient pas la télé, c’est assez décalé pour refiler la pêche, tellement cela paraît loin - des préoccupations de la culture en vogue poussée par les micronautes.

Emmanuelle ParreninTargala, la maison qui n'en est pas une - Johnkôôl Records

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Les auditeurs du Worldwide de Gilles Peterson connaissent Black Flower depuis longtemps, a fortiori ceux de Nova aussi. Un groupe belge qui tire le mélange vers l’ébullition en malaxant des constantes sonores qui vont du jazz à l’afro-beat, du psychédélisme au groove et la musique éthiopienne pour un son qui envoie beaucoup des variables appréciées du moment (entre psyché new school, jazz soulful pour une zik bien vivante. Black Flower est un groupe au sommet de son pouvoir créatif. Après avoir reçu des éloges pour l'album "Future Flora" sorti en 2019, de Mojo, Songlines, Gilles Peterson, "Magma" voit Black Flower adopter de nouveaux sons de synthé et d'orgue grâce à la dernière recrue du groupe, Karel Cuelenaere. Son influence est perceptible dès le début de l'album : il ajoute une touche tourbillonnante et malicieuse au titre "Magma", qui ouvre l'album. En outre, les rythmes de batterie traînants et le morceau "O Fogo", propulsé par une flûte, sont riches en texture et en fluidité. Les rythmes entraînants et les mélodies d'influence orientale servent de source de plaisir qui, comme le magma, devient réel et solide lorsqu'il remonte à la surface. C'est la métaphore parfaite pour le processus de création de cet album. La pulsation et la transe de " Deep Dive Down " poursuivent ce processus joyeux, tandis que l'auteur-compositeur Meskerem Mees (lauréate du Montreux Jazz Talent Award 2021) ajoute sa voix claire comme de l'eau de source au céleste " Morning in the Jungle ". Quand, sur scène, ce melting-pot trouve son rythme de croisière, c’est la claque assurée.

Black Flower - Magma - Sdban Ultra / L’Autre Distribution

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La chanteuse et écrivaine norvégienne Jenny Hval dévoile un splendide univers alternatif avec ce nouveau corpus Classic Objects. Dans chaque album certaines chansons sortent du lot. C'est précisément le cas ici, car l'album contient plusieurs morceaux choisis.

L'une de ces chansons est celle d'ouverture : "Year of Love". La chanteuse parvient à faire passer un message universel dans l'âme de l'auditeur sans être sentimentale. Il existe un lien entre "Year of Love" et "Freedom". L'amour est la liberté, et vice versa. La chanson "Freedom" est libératrice à bien des égards. Il est difficile de ne pas l'aimer. "The Revolution Will Not Be Owned" est un autre gagnant lyrique auquel à peu près n'importe quelle âme peut s'identifier. Elle est venue en force, avec des textes qui sont à la fois racontables et libérateurs. La liste des titres n'est peut-être pas longue, mais Jenny Hval parvient à fusionner des sujets aussi disparates que le quotidien, l'amour, en passant par la vie dans toutes ses nuances, en mélangeant des idiomes émotifs qui peuvent passer pour une bénédiction de l'âme.

En résumé : dans un monde où les musiciens courent après l'influence et autres exagérations, Jenny Hval semble avoir tracé sa propre voie - s'élever par ses mérites et non par la cacophonie criarde d'une armée de médias sociaux. Elle est douée. Très douée… 

Jenny Hval - Classic Objects - 4AD/PIAS

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Au moment où Alex Dutihl encense Laurent Bardenne et son tigre d’eau douce, en se souvenant avec émotion de Gato Barbieri, on pourrait parler du Tout Puissant Orchestre Marcel Duchamp, du Healing Orchestra - et on y reviendra. Mais la sortie qui fait groover les papilles et le bassin, c’est Shake Stew et son Heat calorifère. Encensé par toute la presse européenne l’an passé pour son live à posséder sans attendre, le remarquable (A)live! le septet autrichien non cpnformiste avec deux basses; deux batteries et trois cuivres apporte quelque chose de neuf et de radical au jazz européen ; présentent avec leur cinquième album Heat un délicieux mélange conçu à partir d'afrobeats hypnotiques et d'éruptions sonores extatiques, absolument addictif !

L'histoire de sa création reflète également une caractéristique décisive qui accompagne le groupe depuis ses débuts : depuis la première note jouée ensemble, la musique du septuor se fraie un chemin et produit sans cesse de nouvelles facettes - quelles que soient les circonstances défavorables. Lorsque les sept compositions de Heat ont commencé à prendre forme vers la fin de l'année 2020, il est vite devenu évident que cette musique devait être enregistrée et diffusée le plus rapidement possible. Mais comme chacun sait, la société allait alors de confinement en confinement et les répétitions entre les musiciens en partie autrichiens et en partie allemands ne pouvaient être réalisées que dans des conditions difficiles. C'est pourquoi il a été décidé qu'un projet d'envergure était nécessaire pour sortir le groupe du quotidien de la pandémie et l'amener dans un environnement où il pourrait pleinement allumer la flamme née de la nouvelle formation et l'enregistrer sur disque. Le studio Cicaleto à Arezzo, en Toscane italienne, a été choisi comme tel et, au prix d'un gros effort logistique (trajets jusqu'à 18 heures avec différents trains pour réduire au maximum l'empreinte écologique), Shake Stew a réussi à travailler et à faire de la musique ensemble pendant cinq jours dans cette enclave. Dès le premier soir, tout le monde a pris conscience de la valeur de cette rencontre en ces temps d'isolement interpersonnel, et l'énergie intense et la joie de jouer de ces sessions de studio se laissent deviner sur Heat au bout de quelques instants seulement. UN bonheur assez free dans l’esprit et qui colle pile-poil à la chaleur printanière de retour.

Shake Stew - Heat - Traumtom Records / Kuroneko

En quatre albums, on a une démarche non concertée mais concertante qui fait pousser de la pop dans l’électro, du synthétique dans le folk, du jazz dans le psyché et du free dans un septet. Programme anti petit-cron et mini Z. Vers l’ouverture, le bonheur et au-delà.

Jean-Pierre Simard le 28/03/2022