Cœur instamment dénudé : “L'amour rend fou, il n'y a que la guerre qui Rambo”
Divins humains ou humaines divinités surgis aux 9 coins de la scène, nés pour marcher sur la tête des tables – simplement s'y asseoir serait courir le risque de s'y noyer –plongés dans l'enfer d'un monde en ruines ou élevés aux délices du Palais Sensuel, Cupidon, Venus et Psyché ont beau s’en donner à cœur joie –qu’il soit gros, lourd ou serré, de pierre de marbre ou d’or, au ventre, sur la main, à l’ouvrage, au bord des lèvres et bien accroché – la pièce de Lazare, "Cœur instamment dénudé", métamorphose des Métamorphoses, enchanteresse de l’enchantement lui-même, résonne comme un S.O.S. Car à la fin, # spoileralert : dans l’âpre et délectable lutte du corps et de l’esprit, seule l'âme sauve, l’âme seule se sauve.
Écrite en confinement, l'œuvre creuse la question de la séparation, ouvre un gouffre sans fond, un abîme d'abymes, et appelle de toute part à la joyeuse évasion. Rien n'y adoucit pour autant les mœurs, pas même la dentelle des chants et musiques passant entre les mondes, revisitant le mythe originel d'Apulée, auteur latin du IIe siècle ; s'y mêlent les contes de l'enfance terrible – Peau d'Âne, Blanche Neige, Cendrillon, Alice... animés de figures fantastiques et d'un bestiaire foutraque : Zéphyr le vent malicieux, E.T., l'oracle monstrueux, le chien dollar, ou encore le robot-de-la-drogue qui distille les virus du capitalisme.
Parmi eux, l'homme invisible tisse des relations avec l'oreiller confident, la lampe dressée dans son impitoyable lumière de vérité ou encore le couteau en lamentation, donnant plus qu'à voir, à entendre, la matière au plus près de sa vibration originelle ; le souffle qui s'incarne alors entre les mots et les choses esquisse un passage, pour échapper à la destinée d'une condition où chacun, réduit à sa fonction, finirait par manquer à lui-même.
Le poète Lazare, artisan de ces liaisons célébrant « l’or de la parole, la transfiguration de l’être, l’aura de l’humain » comme nécessités constituantes, trouve aujourd'hui dans leur affirmation l'opportunité de nouvelles confrontations, conflictuelles à force d’être tues.
Aux saluts le soir de la Première, l’artiste est apparu parmi les siens, aînés et pairs, tremblant et téméraire, pour interpeler quant à l’état de souffrance et de crise profonde que traverse la Culture, à peine remise de ses fermetures, quant au sens même qu’il y aurait à faire croire que « l’après » puisse impunément continuer comme « l’avant ».
Pointant les responsabilités absentes qui quadrillent le monde institutionnel, sans respect des « émotions », des artistes au travail, celles qui se contentent de couvrir, par quelques subsides distribués en circuit fermé, des années « blanches » – noires en réalité – et se paient une fois de plus de mots déjouant le réel, indignes héritiers d'une dite « essentialité », quand bien même ils n’écoutent n’entendent ni ne défendent les « récits manquants » du monde contemporain.
Dans cette ultime bataille livrée contre un miroir qui ne serait que perdition
– « Cette tristesse, ce malheur, il ne s’agit pas de moi » ... l'auteur et metteur en scène n'eut finalement d'autre choix que de ponctuer son geste par des points de suspension, interrompu par ses comédien•ne•s le couvrant par une reprise en chœur de ses propres mots :
”Si tu es triste au bois qui pleure
Dans les éclats des fleurs
Si tu es triste prends ton cheval
Et dérive loin de tout mal
Invente ton monde et sa beauté
Invente et ne te laisse pas raconter
Les rôles qu’on veut te faire jouer
Sois un pianiste et n’attends pas
Qu’on tambourine sur ton crâne
Et qu’on t’explique les raisons
Qui depuis des décennies
Feraient que ce monde est con.”
Passé ce sacrifice, hanté par cette écriture qui est aussi un testament, dans le silence du retour de banlieue bordé de potences ou même encore au matin dans le train déchirant l’aube, le feu qui avait traversé de part en part salle et plateau couvait encore sous la cendre, déposant dans mon esprit ce refrain douçâtre et lancinant, ode à la mort autant qu'à l'amour : « Le vent qui roule un cœur sur le pavé des cours... », et qui se conclut ainsi : « Les journaux manquent d’à propos. Ils conçurent d'imbéciles articles pour illustrer sa mort... Commentant son attitude, le journal L'Œuvre dit : « Que cet enfant eut été digne d'un autre destin ! ». Bref on le ravala. Pour moi qui l'ai connu, et qui l'ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu'il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d'avoir le bénéfice d'une belle mort. »
Longue vie @ Lazare Théâtre Vita Nova !
Samuel Wahl
"Cœur instamment dénudé", de Lazare, relâche ce lundi, à voir encore mardi, mercredi et jeudi à la MC 93 de Bobigny.
* Jean Genet, Le condamné à mort https://youtu.be/Yzlq6KRccBE