Tomie, Sensor, Les chefs-d’œuvre de Junji Itō : l’horreur ordinaire est souveraine
Avec la parution d’un inédit (Sensor), d’une réédition culte (Tomie) et d’un premier recueil des meilleures histoires courtes du chantre de la J-horror en manga baptisé Les chefs-d’œuvre de Junji Itō, place à la collection qui va hanter les mangathèques pour les années à venir.
Nouvelle maquette, nouvelles traductions, ajouts d’appareils critiques & préfaces d’invités prestigieux, Mangetsu propose une collection de prestige qui devrait inspirer pas mal d’éditeurs pour mettre en avant les auteurs prestigieux.
Les chefs-d’œuvre de Junji Itō T1
Prévue en 2 volumes, cette collection dans la collection propose des histoires courtes à lire absolument, car elles sont à la fois sélectionnées par l’auteur, mais également commentées pour les remettre en contexte. L’occasion de découvrir les histoires de Junji Itō conseillées par de Junji Itō, peut-être l’une des portes d’entrée les plus simples pour découvrir ses univers. Une bonne proposition, quand les recueils précédemment publiés chez Delcourt/Tonkam étaient plutôt exhaustifs et on pouvait être échaudé par certaines histoires courtes moins réussies.
Sans revenir sur chaque nouvelle, cette anthologie reprend des nouvelles cultes et d’autres, moins connues avec 10 histoires au sommaire, de ce T1 : Le vieux vinyle, Frissons, Le mannequin, Les ballons pendus, Le castelet, Le peintre, Un rêve sans fin, La lignée, Lipidémie et Le mannequin · cadrage maudit. Et chaque nouvelle est complétée d’un fac-similé des carnets de l’auteur et d’un mot sur les origines de l’histoire.
Un éventail de toute la gamme de l’auteur, qui n’a cessé de se renouveler tout au long de sa carrière en multipliant les approches autour de ses thèmes fétiches. Avec cette idée constante que l’espèce humaine reste ce qu’il y a de plus effrayant parmi toutes les possibilités, que les corps déformés sont de loin les choses les plus malaisantes que l’on puisse dessiner, le dessinateur a trouvé très tôt sa voie et ses lecteurs. Son approche de mangaka s’attache aux ambiances plutôt qu’au spectaculaire, à nous mettre en condition plutôt qu’à nous surprendre pour souligner que le surnaturel débarque du quotidien et du familier. Et c’est sûrement ce qui est le plus effrayant. Une horreur vicieuse et lancinante.
Dans ce recueil, on découvre surtout le talent graphique de Junji Itō, ses évolutions de style, ses variations de techniques avec toujours un très grand souci du détail, de la composition et de l’esthétisme de ses cases. Derrière les beaux visages, souvent rehaussés de cernes noirs et sa passion pour les décors urbains & les lieux existants, on reconnaît son trait simple porté par des combinaisons de hachures dans des cases chargées extrêmement lisibles.
L’histoire qui ouvre le recueil est assez à propos tiens, puisqu’elle est assez emblématique du style de l’auteur avec son « horreur banale » et joue sur cette fascination pour un objet culturel, peut-être comme celui que nous avons entre les mains…
Un one-shot inédit publié en 2018 au Japon qui est arrivé chez nous en septembre dernier juste à la suite de Tomie pour créer un pont entre ses classiques et ses œuvres les plus récentes.
Dans Sensor Junji Itō se lance dans un nouveau récit complet qui place une jeune femme face à l’horreur cosmique. Une thématique inspirée des nouvelles d’H.P. Lovecraft, que le mangaka avait déjà commencé à explorer dans des histoires comme Rémina ; la Planète de l’Enfer et qu’il croise à nouveau avec sectes, suicides, violences, et dieux terribles. Mais cette fois avec une nouvelle approche plus légère au niveau de l’horreur graphique, où la peur se fait plus insidieuse et psychologique.
Quand la jeune Kyôko Byakuya se promène près du mont Sengoku et remarque les fils d’or qui, semblables à des cheveux, flottent dans les airs près du volcan. Pour la jeune femme aux cheveux blonds, dans un pays où les cheveux noirs sont la norme, c’est le début d’une descente aux enfers près du dieu Amagami et ses adorateurs au fil des siècles. L’auteur joue sur les différentes époques pour créer son mythe et nous plonger dans l’horreur d’une parfaite tragédie cyclique, dont les origines plongent à la période Edo et à l’arrivée des missionnaires chrétiens au Japon. Et malgré elle, Kyôko va devenir le réceptacle de ce culte impossible.
Dans cette histoire, l’horreur cosmique se double de références christiques (missionnaires, persécutions, crucifixions et discours religieux). Un combo de références vers l’au-delà et la spiritualité, avec deux facettes lumineuses et très noires (d’ailleurs le nom de famille de Kyôko : Byakuya combine les kanji « blanc » et « nuit ». Et Kyôko pourrait se traduire en « miroir»). Un angle singulier qui s’attaque au passé et au présent du Japon, qui oppose sectes et religions, qui associe mystique et scientifique. Des pistes qui rappellent Spirale, son livre le plus célèbre, tout en se renouvelant.
Au cœur du livre, la question de la beauté qui traverse toute son œuvre depuis Tomie, revient ici avec cette jeune femme aux cheveux blonds. Un attribut qui l’associe à une déesse et explore un nouveau pan de cette beauté suspecte, de cette beauté terrible qui s’incarne dans le trait virtuose de Junji Itō, provoquant le malaise et la surprise entre le rendu élégant et l’horreur du propos. Si le dessinateur s’éloigne des ambiances urbaines qu’il affectionne, les planches de ce livre ont une poésie particulière qui en font un livre à part dans sa bibliographie.
Thomas Mourier-> les liens arrivent sur Bubble où vous pouvez commander les albums.
Sensor de Junji Itō, Mangetsu, traduction d’Anaïs Koechlin avec une préface d’Hideo Kojima et un appareil critique de Morolian
Les chefs-d’œuvre de Junji Itō T1, Mangetsu, traduction d’Anaïs Koechlin avec une préface d’Alt236 et un appareil critique de Morolian