Soyons sérieux : offrons des livres qui parlent de bêtises à nos enfants (et lisons-les ensemble !)
À la fin des vacances, juste après les fêtes, il était temps de rappeler que la lecture est encore le meilleur cadeau que vous pouvez faire. Quelques réflexions sérieuses illustrées d’idées de lecture…
Un vrai cadeau, et pas seulement au sens d’offrir des livres, mais de leur offrir un moment pour lire ensemble, pour lire à voix haute. Un moment complice qui a des vertus qui dépassent le simple plaisir.
Et ne serait-ce pas l’occasion de se pencher sur quelques titres pleins de conneri…saines bêtises ?
Plus d’un million de mots supplémentaires pour les enfants à qui on fait la lecture…
Une étude américaine menée par l’enseignante en psychologie du développement Jessica Logan a révélé que « Les enfants dont les parents leur font la lecture apprennent jusqu’à 1,4 million de mots supplémentaires » (source). Même pour des enfants déjà lecteurs, après le CP, la lecture à voix haute avec un proche continue d’être bénéfique donc.
Cette approche est complétée par Emma Vardy, chercheuse en Psychologie de l’éducation, qui indique dans un article sur la lecture et l’éducation : « Cet environnement familial ne perd pas d’importance une fois que les enfants ont appris à lire. Tout comme les croyances des parents et leurs comportements, les occasions données à un enfant de lire chez lui continuent à influencer son intérêt pour les livres au fil de sa scolarité. “ (source)
C’est aussi un enseignement de la grande étude les jeunes et la lecture proposée par le Ministère de la Culture en 216 qui retenait que « plus que celui des enseignants, c’est le rôle des parents qui est décisif dans l’incitation à lire. 65 % des jeunes disent que leurs parents leur ‘demandent’ de lire des livres et, de façon générale, les plus grands lecteurs sont ceux qui vivent dans un foyer où il y a des livres. » (source)
Dans la bande dessinée Pico Bogue de Dominiques Roques et Alexis Dormal, les lecteurs sont confrontés aux jeux de mots des personnages et aux sens nouveaux des mots que l’on découvre au point que les auteurs proposent une série dérivée dédiée : L’étymologie avec Pico Bogue. Ici l’idée est tout autant de piquer la curiosité des jeunes lecteurs que de créer des sujets de discussions parents-enfants (à l’image des héros de la BD).
La lecture comme école de la vie
Dans la littérature jeunesse au sens large, les auteurs ont toujours fait une bonne place aux gamins espiègles, rebelles, moqueurs et pleins d’esprit. Au point que jusque récemment, ces titres étaient mal vus dans l’opinion publique, pourtant de nombreux chercheurs, auteurs et médecins se sont penchés sur la question et s’accordent pour en vanter les mérites.
Le livre est un vrai terrain d’apprentissage et permet de vivre des expériences par procuration. Le sémioticien et romancier Umberto Eco en parle dans son essai Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs en ces termes : « [..] se promener dans un monde narratif a la même fonction que le jeu pour un enfant. Les gamins jouent avec des chevaux de bois, des poupées ou des cerfs-volants, afin de se familiariser avec les lois physiques et les actions qu’ils devront un jour accomplir vraiment. De la même manière, lire un récit signifie jouer à un jeu par lequel on apprend à donner du sens à l’immensité des choses qui se sont produites, se produisent et se produiront dans le monde réel. » (extrait)
Sur France Culture, Antoine Dole — Mr Tan, le scénariste de Mortelle Adèle évoque l’idée de la littérature jeunesse comme un moyen de s’affirmer, de questionner son identité et d’y trouver une place : « Je pense que ce qui plaît dans Adèle, c’est cette idée qu’on peut rentrer dans le monde sans forcément renier qui on est. » (source)
C’est aussi l’un des points qui démarque Ariol d’Emmanuel Guibert & Marc Boutavant dans les séries jeunesse : Ariol est un personnage de bande dessinée, mais qui en lit aussi. Les aventures du Chevalier Cheval permettent à la fois un jeu narratif, des running gags, mais aussi de suggérer aux jeunes lecteurs que si Ariol s’inspire, apprend et se compare à son héros, on peut en faire de même avec Ariol & sa bande.
Cela ne veut pas dire copier, mais ajouter ces lectures comme autant de souvenirs qui peuvent nourrir la réflexion et les questionnements. Pour Giulia Pozzi, Docteure en Philosophie politique et Éthique & psychanalyste, la lecture « développe et affine la perception émotionnelle, donc axiologique, de l’enfant : ce faisant, elle intègre, enrichit et nourrit le rapport de celui-ci avec la réalité extérieure. Comme le montre D. Narvaez, chaque enfant peut saisir différemment le contenu ‘moralisateur’ de l’histoire, mais cela ne veut pas dire qu’il ne retient aucun contenu « moral » ». (source)
Place aux bêtises (et non à la bêtise) !
Est-ce que Mortelle Adèle est bien morale avec sa méchanceté ? Est-ce qu’on ne donne pas de mauvaises idées en lisant les ‘exploits’ du Petit Nicolas ? Est-ce qu’on offre pas des gros mots sur un plateau avec Titeuf ?… Non bien sûr, les enfants ont la capacité de comprendre et de faire la différence.
Pour la psychanalyste Caroline Eliacheff : « Les enfants peuvent être enchantés de voir qu’un personnage réalise ce qu’ils n’oseraient pas faire » (source).
Bref, si les enfants faisaient la moitié des bêtises de Calvin & Hobbes, Tom-Tom & Nana ou Anatole Latuile, les parents seraient convoqués par les services sociaux, tout l’intérêt est de jouer avec les limites, les transgressions pour tester les limites dans l’imaginaire et en découvrir les conséquences sans avoir à le faire réellement.
Pour l’enseignante Céline Thévenot : « La nouvelle littérature de jeunesse a moins la volonté d’édifier que de libérer l’enfant. Cette libération passe notamment par l’imagination. Alors que celle-ci était rejetée et ne semblait destinée qu’à pervertir les jeunes esprits, elle est aujourd’hui valorisée. » (source)
Ce jeu où des personnages empilent les bêtises, ou chaque gag est l’occasion de tester quelque chose de nouveau marche aussi sur les adultes (je prends un seul exemple emblématique Gaston d’André Franquin ). C’est même un modèle qui peut-être renversé comme dans Dad de Nob ou les ‘Donald’ de Carl Barks, Don Rosa… où les enfants sont plus responsables que les adultes qui multiplient les bêtises (dans des histoires qui leur sont adressées).
On pourrait citer encore beaucoup d’exemples, dire que cette échelle des bêtises est aussi variable selon les époques, les lieux ou les milieux —mais on a l’idée. Lisez avec vos enfants, avec ceux des autres, c’est un cadeau pour la vie.
Playlist de lecture des séries citées à lire en famille :
Pico Bogue & L’étymologie avec Pico Bogue de Dominiques Roques et Alexis Dormal, Dargaud
Mortelle Adèle de Diane Le Feyer & Mr Tan, Tourbillon
Ariol d’Emmanuel Guibert & Marc Boutavant, BDKids
Le Petit Nicolas de René Goscinny & Jean-Jacques Sempé, Imav
Titeuf de Zep, Glénat
Calvin & Hobbes de Bill Watterson, Hors-collection
Tom-Tom & Nana de Jacqueline Cohen, Évelyne Reberg & Bernadette Després, Bayard jeunesse
Anatole Latuile de Clément Devaux, Anne Didier & Olivier Muller, BDKids
Gaston Lagaffe d’André Franquin, Dupuis
Dad de Nob, Dupuis
Donald Duck de Carl Barks & La Grande Epopée de Picsou de Don Rosa, Glénat
Thomas Mourier le 3/01/2022
Offrons des livres !
Comme d’habitude avec Thomas, les liens boutent sur le site Bubble où vous pourrez vous procurer les ouvrages évoqués.