Ibaaku envoie son Neo Dakar Vol. 1 en multipliant genres et registres musicaux
Ibaaku se décrit souvent comme un hybride entre alien et humain. Dans ce nouvel album, l'hybridation s'applique également à son utilisation des outils analogiques et électroniques, et au mélange de la culture traditionnelle et des sons modernes.
Au cours des dix dernières années, l'artiste sénégalais Ibaaku a cherché à relier les traditions musicales de son pays à des esthétiques qui traversent l'Afrique et la diaspora, du hip-hop à la musique de club en passant par la bizarrerie expérimentale. Au lieu de céder au regard de l'Occident, Ibaaku conçoit son travail comme un drapeau de la musique africaine du futur, enraciné dans la capitale du Sénégal, Dakar, mais pas seulement. Sur Neo Dakar Vol. 1, il explore les genres locaux et mondiaux, revisite les classiques de l'Afrique de l'Ouest et présente un certain nombre d'artistes sénégalais en devenir. Il s'agit d'un portrait de son pays natal, teinté de couleurs de différentes époques et de différents endroits.
Qu'il s'agisse de chansons douces, d'esquisses de beat tape ou d'art sonore abstrait, Ibaaku réussit à faire passer toutes ces idées de manière convaincante. Il obtient les meilleurs résultats avec les morceaux percussifs plus anguleux, comme "Issa Dream" ou "Dr Ndiaga", qui est comme une version déconstruite du mbalax sénégalais. Le genre populaire apparaît également sur "Coumba Again", une fusion intelligente de musique de bibliothèque et de battements 808.
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La diversité musicale de l'album est à l'image de Dakar, historiquement connue pour être un carrefour culturel et le foyer de nombreuses cultures et croyances différentes. Le Sénégal dans son ensemble a donné naissance à plusieurs grands noms de l'Afrique de l'Ouest, du magnat du showbiz Youssou N'Dour au chanteur griot Ndiaga Mbaye. Ibaaku découpe la voix de Mbaye en échantillons microscopiques sur "Dr Ndiaga" et "Mystère des Affaires Etranges", puis s'essaie au chant sur "La Beauté du hasard", qui ressemble à une berceuse faite de la douce gratte d'un instrument qui ressemble un peu à la kora ouest-africaine.
Le Sénégal abrite également l'une des scènes de rap les plus dynamiques du continent, mais lorsque Ibaaku entre dans l'univers du hip-hop, la musique n'a pas l'énergie percutante et aventureuse du reste de Neo Dakar Vol. 1. Un titre comme "Jazzy Classy", avec ses samples lo-fi et ses grosses caisses boom-bap, aurait pu être tiré de n'importe quelle bande de beat lo-fi sur SoundCloud. Le son est meilleur lorsqu'il est rejoint par d'autres MCs, comme sur "Dem". La production se distingue par ses roulements de tambours excitants, ses samples étouffés et un refrain accrocheur chanté en wolof, l'une des langues officielles du Sénégal.
Neo Dakar Vol. 1 est le premier album d'Ibaaku depuis cinq ans. Il montre un artiste capable d'assembler des sons, des influences et des actes différents tout en gardant une main ferme sur le tout. La chanson "Rites", en particulier, témoigne de la dextérité d'Ibaaku. Rejoint par l'artiste italien Cori (I-Science), il mélange des sons traditionnels dans un collage sonore à la William Basinski : des bleeps disloqués, des accords de guitare superposés et un piano en cascade sur un fond brumeux. Ce titre ressemble surtout à la vision qu'a Ibaaku de l'avenir de Dakar, un endroit où les sons familiers se mêlent aux bruits étranges et aux influences extérieures, pour se fondre dans une musique sans frontières. On regrette juste que les titres les plus réussis ne durent pas, à l’africaine, plus de cinq minutes à l’instar d’un Fela ou autre Franco…
Dr Zyvago le 26/05/2021
Ibaaku - Neo Dakar Vol. 1. - Miziku Tey Records