Ha que le Toubifri, beaucoup de bien te faire, va !
Nouvelle sensation lyonnaise du big band qui fait des vagues, pour son troisième album Dieu Poulet, The Very Big Experimental Toubifri Orchestra vous offre un repas complet. Le problème, pour les amateurs de chapelle, étant qu’on ne sait jamais - à dessein - dans quel restaurant on se trouve. Et pas seulement d’un plat à l’autre, mais même à l’intérieur d’une même assiette. Cultivé et pétaradant, autant que malin et inspiré. Boum !
Fondé par Grégoire Gensse, composé de dix-huit musiciens issus de la jeune scène jazz lyonnaise, le Toubifri est un « gros orchestre » tonitruant, électrique et tempétueux. Au-delà de la folie qu’il dégage, c’est surtout une belle mécanique de précision, dont les modes de jeu explorent la richesse des timbres, la spatialisation du son et l’énergie des instruments. La musique se fait grave et douce, délicate et acrobatique, pop et swing, rock et jazz, blues et punk, soundpainting et salsa… Dans une fantasque fusion des genres, c’est parfois tout ça en même temps ! Vous l’aurez compris, ça décoiffe et bien malin celui qui saura coller une étiquette à ces généreux princes du multistyle.
Et contrairement à l’assertion plus haut, on va faire notre boulot et s’amuser à détisser les ficelles chamarrées qui affleurent à la surface des portées ( sans effort) et des joyeux ballonnés/pas de basque instrumentaux. Jazz no jazz égale jazz par addition … Un premier dépistage exhibe la folie du big band qui va chercher aussi bien du côté des délires de la cocktail / lounge music pour ses bruitages à la Tex Avery que des arrangements très barrés d’Albert Marcœur, donc du côté de Zappa et Birgé, voir de l’ONJ quand il décide de délirer à l’initiative de François Jeanneau avec le sound painting . En poussant le bouchon, toujours lyonnais, on retrouve aussi des influences à la Keith Tippett en compagnie de Robert Wyatt. Mais on sent bien aussi le modernisme du XXe classique de Ravel et Debussy qui se pousse du côté de Stravinsky - sans saucisson. Mais avec du poulet… Et là, on est encore en Europe, pendant que le Toubifri lance ses bordées vers d’autres continents, via l’Atlantique et les Caraïbes, pour swinguer aussi bien ailleurs qu’en d’autres rythmes qui viennent s’ajouter aux précédents, et hop comme un coucou au Liberation Music Orchestra de Charlie Haden.
Et puis, il y a aussi du Zorn là dedans, le zig-zagueur entre les lignes de Massada, ce qui approche la pop et le rock de biais, à évoquer de ci-delà autant le krautrock et ses climats que reprend si souvent le spiritual jazz de ces dernières années. Mais le voyage ne saurait être complet sans évoquer le travail sur les B.O. de Michel Legrand et les arrangements du Quincy Jones de Big Band Bossa Nova et des envolées lyriques de Magma et certaines des Double Six - c’est du jazze bordel !
Comme nos amis lyonnais aiment bien la chanson, ils avaient même enregistré Nous, leur précédent opus de 2017 avec Loïc Lantoine, mais là, ils reprennent les voix à leur compte pour jazzer en chœur et 18 morceaux, pardon musiciens. Alors, à une fin du monde supposée proche, ils refusent les injonctions de Philipilus Castex - en attendant l’injection ( faites vos jeux avec votre vaccin!) pour retrouver au plus vite la scène où ils vont vous déménager les neurones - et le reste - dès que possible. Faites-vous, de suite, faire une ordonnance pour y assister, c’est bien avec l’herbe du diable. Mais même sans, chez vous dans le confort des enceintes, ça le fait grave aussi. La thématique est assez normalement sexuelle et gastronomique ( vous avez remarqué le vocabulaire culinaire, maintenant c’est l’heure déguster le Dieu Poulet. on vous laisse, on vient juste d’en reprendre… Vous verrez, c’est addictif. Mais justement !
Jean-Pierre Simard le 30/04/2021
The Very Big Experimental Toubifri Orchestra - Dieu Poulet - La Grande Expérimentale