Akhenaton sur la Faim du monde

Les mots percutants de l’un des maîtres contemporains du flow en français, dont la politique sous-jacente, vacillante, laisse toutefois elle aussi quelque peu sur sa faim.

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L’ironie de la vie fait qu’à l’instant même
Où mon encre pose les premiers mots de ce poème
J’aurais tant aimé qu’elle puisse l’écouter
Il y a une heure, petite maman, le ciel vient de te rappeler

Sur mon tee-shirt quelques larmes se dessinent
J’ai vu l’abeille, la colombe, Dieu, j’ai vu les signes
Ma mère a voué sa vie aux autres et les autres ont voué leur vie à eux-mêmes
Lui laissant leurs chariots de peines

Ses patrons, hauts fonctionnaires, se demandaient
Comment ils pouvaient stopper les actions de cette petite militante
Ils l’ont assise un an et demi sous une trappe ouverte
D’où tombait sans s’arrêter une pluie d’amiante

Eux ont su dorer leur parapluie
À cinquante ans, maman est tombée dans la maladie
Elle m’a laissé ces quelques mots en héritage
Alors je marche sur le champ d’honneur, pour un combat véritable

C’est l’économie qu’on vante et qu’on canonise
Les forêts se couchent et les animaux agonisent
Devant la télé, chacun veut sauver la Terre
Et ça pleure quand on prend dix euros sur le salaire

Alors le poison est dans l’air, il en tue cinquante mille
Mais c’est plus simple de fixer la peur sur le Covid
Ce qui nous arrive, ce n’est pas étonnant, c’est logique
C’est la course-poursuite, où l’économie tue l’écologie

Je crois toujours en Dieu si tu en doutes mais comme
Ces vers l’expriment, j’ai fini d’avoir foi en l’homme
Faut croire que c’est ainsi, faut croire qu’on le mérite
De la toundra s’évadera la huitième plaie d’Égypte

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Quinze ans après l’album solo « Soldats de fortune » de 2006 et son titre-clé « La fin de leur monde » (dont les paroles nous seront opportunément rappelées en fin de volume), avec ses fusils de la bêtise, ses survivants sous néon, ses psys qui exorcisent, ses sous amassés par grosses bennes, ses croix sur la caution, ses rafales racistes, ses bouts de carton pour s’étendre, Akhenaton, l’un des deux chanteurs d’IAM (avec Shurik’n) nous revient, toujours magicien du flow et de la poésie qui l’accompagne, désabusé et rageur, mais pas uniquement, loin de là. C’est dans la jeune et inspirée collection L’iconopop des éditions L’Iconoclaste (collection au sein de laquelle on vous parlait ici encore récemment de Lisette Lombé, par exemple) que paraissent en avril 2021 ces 43 pages en forme de triste bilan d’une longue expérience néo-libérale annoncée – expérience loin d’être achevée pour l’instant.

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Le système du capital tiendra
Si les plats posés sur la table ont un partage juste
Capitalisme 2020, c’est Judas qui boit tout le vin,
Mange tout le pain, et Jésus qui l’excuse

De nos jours, on décrie les hypermarchés
Il y a cinquante ans, le peuple a fait leur succès
Et pour tirer les prix, il ont fait de la bouffe « Chio »
Comment les croire, eux et leurs fausses étiquettes « Bio »

Nous sommes responsables de cette situation
On vote, on manifeste, on hait ce qui arrive
On hait ceux qui arrivent, on rame à la dérive
Mais la « révolution » se fait par la consommation

En France, santé, prévention, c’est divorce
Du coup, patient, client, c’est la même chose
L’alimentation, ce n’est pas ce médicament cher
La Sécu sera plus tard la consolation à ton cancer

Combien de fois j’ai parlé, aux docteurs vaniteux
Combien de fois j’ai erré, dans l’hôpital miteux
Combien de fois les miens ont subi la calamité
De lutter pour leur vie en ces lieux privés d’humanité

Notre médecine est à un tournant, fragmentée
Les docteurs fidèles à leur serment d’un côté
De l’autre, ceux que les labos ont transformés
En associés du plus grand cartel du crime organisé

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La puissance de perforation du flow, le jeu incessant entretenu entre les rimes, les assonances, les allitérations et les sauts de sens en forme de clins d’œil, sont intacts, si ce n’est plus affûtés encore que par le passé. Akhenaton offre ici un témoignage fervent de la puissance de la poésie chantée, qu’elle s’ancre dans le hip hop comme la sienne, celle de D’ de Kabal, celle de Casey, celle de Kae Tempest, celle de Mike Skinner, ou dans une forme plus ancienne réputée plus classique comme celle de Bob Dylan, de Leonard Cohen, de Dominique A ou d’Arthur H, pour ne citer que quelques artistes parmi les dizaines de poètes que compte cet univers – et n’en déplaise à celles et ceux qui, depuis 2016, réaffirment à qui veut les entendre que « cela n’est pas de la littérature ». Les mots ici brillent, pénètrent, distillent, jouent et parlent aux cœurs et aux esprits – et c’est cela qui importe.

Si gêne il y a ici, elle proviendra de la parole politique sous-jacente. Depuis 2015 et les explications parfois quelque peu laborieuses fournies à ses fans après sa participation à une campagne publicitaire de Coca-Cola (avec son titre « Vivre maintenant »), on sait que, selon ses propres mots, Akhenaton « n’est ni un altermondialiste ni un communiste, mais pour un capitalisme juste ». Considérant que « l’opposition frontale ne donne rien », il appelait alors à des méthodes plus inventives pour peser dans la balance. « La faim de leur monde », moins de cinq ans après, sonne ainsi à la fois, dans un contexte entièrement réévalué, en hâte, à l’aune de la pandémie mondiale et de ses immédiates conséquences socio-politiques, comme la confirmation d’une rage intacte face à l’injustice et à l’accaparement, mais aussi comme un paradoxal aveu d’échec quant à ce « réformisme » appelé de ses vœux, avec pour corollaire apparent, hélas, dans la désillusion qui traverse ces pages, le glissement parfois manifeste vers un « complotisme » viscéral de bien triste aloi.

Ils veulent que pour les anciens rien n’aille mal
Et dépensent des milliards pour l’atome dans l’arsenal
Les maths remplacent les mots, veulent expliquer les maux
Quand ça les arrange, nos vies sont rangées dans les tableaux

Hugues Charybde le 29/04/2021
Akhenaton - La Faim de leur monde - éditions l’Icônoclaste
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