Hache tendre & gueules de bois, le rock pas vu pas pris - mais vu d'ici

C’est un peu le genre de bouquin qu’il faut emporter quand on va faire une broc ou un vide-grenier, histoire de savoir sur quoi on tombe. Loin d’être une ode à l’ORTF et Albert Raisner, présentateur allumé d’Âge Tendre et tête de bois, ces 792 pages vous replongent dans la critique rock, telle que pratiquée allègrement dans le monde d’avant, celui que les blaireaux de 2021 ne veulent plus voir dépasser de leurs sondages.

Patrick Foulhoux s’y est collé, préfacé par Thomas VDB et postfacé par Michel Embarek. De la série A, les Stooges jusqu’à B et même Z, un pas de côté vers l’inconnu de ce qui a existé sans trop se faire remarquer, et même oublier parfois. Du lourd!

Ce n’est ni l’érudit rock de Rock & Folk, ni le sac poubelle des Inrockuptibles ou de Manœuvre expédiant un single en trois lignes et deux punchlines, c’est plus aventureux dans le fond et plus souriant dans l’expression. Cela ne se veut pas non plus un décalque flagrant du High Fidelity de Nick Hornby ou tout autre ouvrage signé d’un ex de Rolling Stone. Quoique cela en prenne quelquefois les facilités, cela garde souvent, exclusivement même, le côté minuscule de l’approche sur un seul objet, et ne file jamais vers la thèse; se concentrant sur la quintessence du sujet en moins de deux feuillets. Exemple :

The Afterbirth Tycoon : Late Bloom (autoproduit, 2014)

Le nom du groupe ! Le magnat du placenta ! Un extra- terrestre de Buffalo, dans le comté de New-York, The Afterbirth Tycoon se démarque par sa quasi-non-existence jusqu’à ce premier album virtuel. Jason Pitcher a débuté le groupe en 1998. Il y mit un terme en 2006 pour le relancer en 2012 avec d’autres zazous de son espèce. Cette fois, pas question de végéter. Un disque est programmé pour maintenir la tête hors de l’eau et rester groupé. Après un ep, vint le tour de l’album fantôme puisqu’il ne bénéficie d’aucun support physique. Il n’existe qu’en version numérique. Un scandale. Il faut tomber par hasard sur son bandcamp pour en apprendre l’existence. La question est de savoir ce qu’il fout là puisqu’il n’apparaît pas sur mes rayons. Je suis obligé d’enfreindre le règlement tant la bête suspendue au crochet propose des steaks à faire crépiter les papilles des viandards. Pense donc, le gars précise que le nom du groupe est inspiré par William S. Burroughs (Le festin nu), il affiche une inspiration delta blues swamp rock garage noise. Ce disque est là pour m’enflammer les feuillets et m’engorger les corps caverneux. Sorti la même année que le Gord Downie & The Sadies, ça sent la conspiration. J’imagine un vivarium dans lequel pataugent The Fall, Gallon Drunk, Scientists, Chrome Cranks, Cheater Slicks, Woman, Pussy Galore, Honeymoon Killers, Five Dollar Priest, Action Swin- gers, Hash Over, Beasts of Bourbon et The Ukiah Drag. De temps en temps, pour qu’ils ne fassent pas de lard, faut leur balancer un de leurs congénères dans les pattes pour leur secouer les écailles. Afterbirth Tycoon est complètement givré. À boire, et que les flammes dansent !

Si vous étiez un adepte des listes, comme le héros de High Fidelity, il va vous falloir changer vos méthodes de classement car ici on titille l’inconnu, de très près même, et l’auteur avoue lui-même qu’il adore - en faisant œuvre de modernité, comme nos playlists - allier le remuant au plus improbable. Vous resterez ainsi en terrain de connaissance.

C’est un peu le genre de livre qu’il faut emporter quand on va faire une broc ou un vide-grenier, histoire de savoir sur quoi on tombe. Et justement, alors qu’on annonce, au quotidien, que l’ancien monde est fort défunt, vous trouverez ici quelques raisons d’en douter. So, what else ?

Jean-Pierre Simard le 23/03/2021
Patrick Foulhoux - Hache tendre & gueules de bois - Kyklos Éditions, 2021

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