Murder ! Quand le Reggae devient digital, le Dancehall s'impose
“Dancehall Explosion : DJ & Singjays des années 80 en Jamaïque” est un petit bréviaire réalisé par deux passionnés : Eric Doumerc et James Danino qui, en moins de 300 pages, aligne sa chronologie, ses évolutions et les acteurs du mouvement, des Roots Radics initiaux à Sister Carol.
Comme toujours en Jamaïque (aussi), c’est du côté politique qu’il faut chercher les sources de l’évolution musicale. Et c’est avec l’arrivée de Sega, l’ami intime de Reagan au début des 80’s que tout est boulelversé, le FMI décidant, avec l’arrivée d’un allié de droite au pouvoir de renflouer le pays dont l’industrie de la bauxite bat de l’aile. Sous perfusion commerciale et culturelle des USA, la Jamaïque va consommer et faire plonger la dette extérieure du pays en adoptant de nouveaux modes de consommation. Déjà malmené par le succès mondial de Marley qui a reconfiguré le reggae roots pour le vendre au monde entier, celui-ci, pour évoluer, va chercher de nouveaux sons et s’ouvrir à l’électronique pour dire les choses autrement. Pour les oublieux, le premier DJ important du hip hop et inventeur des block parties du Bronx, Dj Cool Herc était un immigré Jamaïcain qui restait à l’écoute de la production musicale insulaire et cela va engendrer des pollinisations croisées entre les musiques, les découvertes du dancehall se retrouvant dans le hip hop à l’écoute, et vice versa au fil des 80’s et même après.
Comme on peut le comprendre à l’écoute de « Herbman Hustling », les productions de Sly Dunbar et Robbie Shakespeare contribuèrent énormément à orienter la musique jamaïcaine vers un nouveau son dominé par le rythme, au détriment de la mélodie. En effet, dès le début des années 1980, Sly Dunbar utilisa des boîtes à rythmes, des claviers électroniques, ainsi que les nouvelles batteries sur le marché afin de se lancer dans des expériences diverses. Il eut par exemple recours dès 1983 au Roland TR-808, une boîte à rythmes qui lui fournit un effet saisissant que l’on peut entendre sur la chanson « Touble You A Trouble Me » d’Ini Kamoze et sur « Revolution » de Dennis Brown (Katz 334). Pour « Herbman Hustling », il se tourna vers l’Oberheim DMX, un autre type de boîte à rythmes. Ces expérimentations sonores firent évoluer la musique jamaïcaine vers un son plus brut, plus futuriste, avec quantité d’effets spéciaux présents sur les mixages dub des morceaux de Sly et Robbie qui parurent sur leur propre label, Taxi, formé en 1979.
On notera les évolutions sociétales qui trouveront ici un amplificateur hors du commun à relayer les nouvelles manières de dire le quotidien, de consommer, de se comporter et de le dire de la façon la plus appropriée et novatrice, quitte à changer de point de vue pour régner en haut des charts. Prenez, par exemple, Shabba Ranks, qui démarre sa carrière en parolier concerné et trouve ensuite le succès avec des horreurs machistes bien dans l’air du temps des reaganomics. Une vraie secousse pour une voix exemplaire qui chante ensuite crétin. Mais pour continuer le parallèle avec le hip hop US, cela montre la tendance de la rue et le durcissement de la situation, comme par hasard, toujours en défaveur des ghettos. Est-ce bien raisonnable ? Cela marque l’arrivée de la slackness, le reggae sale, très cul. Et, chaque Singjay ou Deejay ayant son histoire, cela va servir de fil conducteur pour le reste de l‘ouvrage, à montrer spécificité du son, de la production et des acteurs en cause. C’est un au jour le jour du plus bel effet qui va faire de cet ouvrage un bon petit bréviaire pour débutants, ou un cadeau pour les puristes qui y découvriront des trucs auxquels ils n’avaient jamais eu accès. So What Else, lisez-le !
Jean-Pierre Simard le 19/03/2021
Eric Doumerc et James Danino -Dancehall Explosion : DJ & Singjays des années 80 en Jamaïque - éditions Camion Blanc
Et, pour vous faire une oreille sur le son en question, le mix obligatoire, c’est le week-end !