Chef de file de l’école documentaire britannique, le photographe Chris Killip avait capté l'âme des terribles années 1970 et 1980 de l'Angleterre ouvrière dans des images poétiques et sombres. Steidl a réédité son livre "Skinningrove", dont certaines images avaient fait partie de son œuvre fondatrice "In Flagrante" (Secker & Warburg, 1988). Le motif dans le tapis en quelque sorte.

De toutes les œuvres de Chris Killip, les photographies qu'il a réalisées entre 1982 et 1984 dans le village de Skinningrove, sur la côte nord-est de l'Angleterre, sont peut-être les plus intimes et les plus complètes - de la communauté qu'il a photographiée et de lui-même. "Comme beaucoup de communautés de pêcheurs soudées, elle pouvait être hostile aux étrangers, surtout à ceux qui avaient un appareil photo", se souvient Killip. "Les pêcheurs de Skinningrove croyaient que la mer devant eux était leur territoire privé, à eux seuls.")

Bien que quatre images de la série aient été incluses dans son révolutionnaire In Flagrante (1988), Killip a résisté à les rassembler toutes dans un seul livre pendant plus de trois décennies - il s'était tellement investi dans ces images et respectait tellement ses sujets qu'il avait besoin de temps et de distance pour comprendre leur signification. Pour un photographe dont le travail était fondé sur la valeur urgente de la documentation de la vie des gens "ordinaires", ces images nuancées - qui diffusent une vaste immobilité de la lumière et du temps, intégrée à la granularité des vies vécues - révèlent la conviction de Killip qu'aucune vie n'est ordinaire : les vies quotidiennes sont sublimes.

Publiée pour la première fois en 2018 sous la forme d'un journal qu'il a personnellement et anonymement glissé dans toutes les boîtes aux lettres du village, cette nouvelle édition Steidl comprend une introduction du photographe et des photos encore inédites ; elle a été achevée peu avant la mort de Killip en octobre 2020. Si vous vous sentez un peu à courte vue, ces jours-ci, transposez sa vision ici et maintenant ! Le macronisme n’a pas d’autre discours ni finalité que faire la même chose. On espérait avoir perdu la notion de la beauté du naufrage, on avait tort ! C’est bluffant.

Jean-Pierre Simard
Chris Killip- Skinningrove - éditions Steidl