Cage John, Platonos Lena et Friends & Neighbors
Il faut sérieusement penser à autre chose quand Zemmour, l’idiot utile de Bolloré mange l’espace visuel et télé. Alors, faisons confiance à nos grandes oreilles pour prendre de l’avance sur le tout brun venant, en prenant du recul. Au menu : Cage John, Platonos Lena et Friends & Neighbors. Et merci à Solaar pour la punchline.
Non, André Roligheten, Thomas Johansson, Oscar Grönberg, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang ne sont pas des nouveaux venus dans la Flat Earth Society. Ils affirment quelque chose de bien plus excitant qu'un monde ressemblant à une pizza : que la Terre est de la musique, avec tous ses bémols et ses continuums. Cette musique, telle qu'ils l'aiment, c'est le free jazz des années 60 et 70, celui inventé par des gens comme Ornette Coleman, Archie Shepp, Pharoah Sanders et John Carter.
Un free jazz énergique et mélodique, pour être plus précis, avec des airs simples et suggestifs que l'on peut chanter, comme des chansons pop ou folk, mais avec des développements complexes, multicouches et improvisés qui peuvent aller jusqu'aux extrêmes de la rage et de la joie. Friends & Neighbors sont, comme vous le savez maintenant, un groupe scandinave, mais ils sont aussi authentiques et fougueux que les vrais, et on ne peut les distinguer de la musique jouée il y a 50 ans que parce qu'ils poussent à fond les idées du passé et vont plus loin dans l'expressionnisme embrassé, dans une sorte d'approche hyperréaliste.
Salvateur, à l’heure où Giles Peterson nous convie à croire en la nouveauté de groupe comme Secret Night Gang qui, s’ils sont bien de l’année, ne sonnent pour nous que comme des resucées de … Jamiroquoi . Moralité: Talking loud, saying nothing… Et pim !
Friend & Neighbors - The Earth is # - Clean Feed Records
"Je veux décrire un espace, j'ai pensé un instant à l'appeler une retraite", chante Lena Platonos dans les premières lignes de "Immortal". Avec ses atmosphères oniriques et son incroyable versatilité tonale, Balancers, dans son ensemble, devient cela.
Composé de matériel enregistré entre 1982 et 1985, Balancers donne à un nouveau public l'occasion de découvrir le travail de l'artiste grecque Lena Platonos. Compositrice, pianiste et chanteuse visionnaire, Platonos - toujours active aujourd'hui - a été la pionnière de l'utilisation des synthétiseurs dans la musique électronique grecque des années 1980. Explorant des thèmes tels que la technologie, l'identité, la mythologie et la romance, les compositions avant-gardistes de Platonos sont devenues plus connues aux États-Unis grâce aux rééditions de ses albums Sun Masks (1984), Gallop (1985) et Lepidoptera (1986). Contemporaines de ces albums, les chansons de Balancers comportent les mêmes éléments qui ont rendu cette trilogie exceptionnelle : une électronique qui fait fondre l'esprit, des voix envoûtantes et une poésie impeccable.
"C'est une œuvre purement électronique avec des sons plutôt intimes", écrit Platonos (dans les notes de pochette du disque) à propos du morceau de clôture "Friday, 9-9-1983". Cette description peut s'appliquer à toutes les chansons de Balancers. Remplis d'oscillations, d'ondes de scie bourdonnantes et de voix traitées, les morceaux de l’album s'appuient sur la capacité minutieuse de Platonos à superposer ses mots tout en utilisant un éventail de sons élaborés. Les narrations d'un autre monde de Platonos se mêlent à des tonalités tremblantes rappelant un orgue de théâtre Wurlitzer dans les morceaux "Wedding" et "September". Dans "Sanctuary in Ionian Rhythm", des accents de cloches et une pulsation de basse épaisse, presque menaçante, lui servent de toile de fond pour décrire un lieu mystique qu'elle a rencontré lors d'une promenade. Les morceaux phares "Henna" et "Russian Lament" utilisent des voix à hauteur variable, des chuchotements et des échos, soulignant la clairvoyance de Platonos pour des compositions où l'électronique texturale s'entrelace avec un récit autobiographique. Après pim, c’est pam !
Lena Paltonos - Balancers - Bandcamp
Pour les oiseaux : Entretiens avec Daniel Charles de John Cage
Il y a poésie dès lors que nous réalisons que nous ne possédons rien.
Comme les coffrets précédents de Another Timbre, John Cage Number Pieces ne ratisse pas large et ne s'éparpille pas. Ce coffret de quatre disques, d'une durée de plus de cinq heures, se concentre sur les Number Pieces que John Cage a composées dans les dernières années de sa vie, de 1987 à 1992. Ces compositions sont facilement identifiables par leurs titres distinctifs ; ainsi, "Three2" est la deuxième des pièces que Cage a composées pour trois joueurs, tandis que "Two3" est sa troisième pièce pour deux joueurs (dans ces titres, le dernier chiffre est parfois placé au-dessus de la ligne, comme un index). Bien que Cage ait écrit des pièces à numéros pour un joueur jusqu'à 108 joueurs, ce coffret ne comprend que des réalisations de toutes celles de cinq joueurs jusqu'à quatorze, avec une version finale de "Four5" ajoutée en bonus mais aucune autre pièce pour quatre joueurs.
Enregistrée à divers endroits entre août 2020 et mai 2021, la musique ici a été interprétée par les vingt joueurs d' Apartment House, l'ensemble qui a tiré son nom de la composition de 1976 de Cage "Apartment House 1776". Ensemble, avec le producteur Simon Reynell, un amoureux des Number Pieces depuis les années 90, ils se sont efforcés de rendre ces réalisations aussi bonnes que possible, par exemple en écoutant tous les enregistrements existants des pièces et en réfléchissant à ce qui fonctionnait ou non ; pour toutes les personnes concernées, il s'agissait d'un processus de découverte, les détails apparaissant dans le jeu. Dans ce processus, plutôt que de s'en tenir aux suggestions de Cage, l'expérimentation était autorisée. Par exemple, "Four5" n'a pas été joué par quatre saxophones comme suggéré mais par deux clarinettes, une clarinette basse et un basson ; "Five4" n'a pas été joué par cinq musiciens mais par le trio de Heather Roach aux clarinettes avec les percussionnistes George Barton et Simon Limbrick, tandis que Barton et Limbrick ont joué seuls "Six". Un résultat final qui justifie ces décisions.
Une fois qu'il a dépassé les groupes de sept, Cage n'a plus écrit de pièces multiples pour les nombres plus élevés, de sorte que "Eight", "Ten", "Thirteen" et "Fourteen" sont toutes uniques en leur genre. Pour ces groupes plus importants, il convient de noter que l'augmentation du nombre de musiciens n'a pas entraîné de désordre ou d'encombrement ; au contraire, elle a élargi la gamme d'instruments disponibles, offrant ainsi un plus grand choix, ce qui a permis de créer des paysages sonores plus riches et plus détaillés. Une relecture qui voit déjà ce coffret se hisser dans les classements des albums de l’année. Poum !
Après pim, pam et poum, comme pour le Zee, le reste est pipeau !
Jean-Pierre Simard le 28/10/2021
Apartment House – John Cage: Number Pieces - Another Timbre