L'AUTRE QUOTIDIEN

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Avec Ultra Mono, Idles envoie le punk de 2020 qui fait mal

Ultra Mono est le troisième album des Idles de Bristol chez Partisan Records. Après 2018 et Joy as an Act of Resistance, il creuse les thèmes précédents : climat socio-politique moderne, lutte des classes, santé mentale et masculinité toxique, ainsi que les conséquences de la nouvelle renommée du groupe. Claque!

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En 2017, Brutalism, avec ses mélodies déséquilibrées et ses paroles cryptiques, présentait les cinq musiciens comme des excentriques militants de la renaissance punk/post-punk, tandis que le second, Joy As An Act Of Resistance (2018) a failli déclencher un véritable mouvement par sa virulence. Bourdonnant de déclarations sans fin sur l'amour-propre, l'immigration et le patriarcat étouffant, l’album était à un appel l'unité et insistait, selon leur devise, sur le fait que tout est amour.

Et, à mettre ses contradictions sur la table, le leader et parolier du groupe, Joe Talbot, joue le à poil intégral qui emporte certains, le faisant détester par beaucoup d’autres - on y revient plus loin. Le bon rock est ainsi qui cristallise l’époque en stigmatisant ses entourloupes, ses rouages et ses distorsions pour en faire la culture; avec une posture d’actualité. Et Talbot d’assumer à fond ses engagements, quitte à se faire chambrer par ceux qui sont rétifs à ses arguments/engagements.

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L'ouverture de "War" est marquée par une ligne de basse militariste, des éclats de guitare statique et l'imitation vocale onomatopéique d'un coup de couteau de Talbot : "Whaching ! C'est le son de l'épée qui entre !". Plus loin, sur "Grounds", il annonce : "Je sens le sang d'un million de fils / d'un million de filles de cent mille canons", avant de rallier les fans : "Entendez-vous ce tonnerre ? C'est le son de la force du nombre". Le sinistre "Mr. Motivator" envoie son appel à l’union à la façon de Sham 69 : "Saisissons le jour / Tenons nous tous par la main / Chassons les connards". Sur Ultra Mono, on vit le cancer au jour le jour en lacérant les élites britanniques, "les infirmières et les enseignants qui travaillent trop / Alors que vous prêchez l'austérité". "Reigns", poursuit avec ses cris électroniques et son saxophone dissonant (gracieuseté de Warren Ellis) : "Qu'est-ce que ça fait d'avoir du sang bleu dans les veines ?" Leur rage sonique est tendue comme une corde à piano par la production hip-hop de Kenny Beats, qui a contribué à créer une atmosphère claustrophobe qui capture à la fois l'insularité nouvelle d'IDLES et la nature oppressante de la Grande-Bretagne moderne, où la richesse et les relations sont des billets prépayés pour le sommet. "Il y a une guerre des classes et les classes ouvrières sont mâchées et recrachées par le un pour cent", a déclaré Talbot dans un récent article du NME. "Il y a des banques alimentaires dans ce pays. Il y a un mépris total pour le bien-être de l'homme". Le guitariste Mark Bowen a expliqué qu’IDLES "veulent l'égalité et la promouvoir de toutes les manières possibles - à travers notre art". En Angleterre, c'est exactement le genre de sermon politique qui fera sortir les yeux des détracteurs de leur tête. Autre accusation portée contre le groupe, son aptitude à mettre en pratique les postures machistes qu'il prétend dénoncer. Le hardcore américain 80’s avait déjà subi les mêmes foudres. Alors, a contrario, les shows d'IDLES sont aussi une occasion pour les mecs de se jeter dans les bras les uns des autres et chanter sur le fait que la masculinité toxique est mauvaise, que la diversité est positive et le changement possible. Si ces types peuvent aller à un concert d'IDLES, crier et hurler et tout laisser sortir - c’est déjà un pas en avant. Ce troisième album fusionne le sens de l'humour loufoque du premier avec le manifeste effronté de "Joy..." pour une société plus saine. Alors, malgré leurs imperfections et les critiques justifiées, IDLES est un excellent groupe qui veut vous emmener en voyage - et que vous en profitiez à fond.

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Pour les non anglophones, on titrera un parallèle entre Model Village et la situation hexagonale, avec son gouvernement sorti d’une sitcom et son président aux ordres des milliardaires qu’ils l’ont fait élire. Un genre de pays incroyable où l’on a le droit d’aller voir les spectacles du puit du con, mais pas au théâtre, où le ministre des Maternelles affirme un devoir d’habillement républicain ( t’as ta carte du parti des Ripoux, toi ? ) et où la ministre de la Culture se plaint de moins gagner au gouvernement qu’à la télé, quand la moindre déclamation d’un préfet à casquette sonne comme une pub pour des rillettes et où le sinistre de l’Intérieur empile les contre-vérités pour faire le lit une future présidente d’extrême-droite.

Idles, avec Ultra Mono c’est la simple (et de plus en plus rare) possibilité de tenir un discours dissident. Un discours porteur, on dira, de changement et de plénitude de vécu. Forcément, on aime. Pas vous ? Et puis la balle qui frappe le personnage de la pochette n’est pas sans ressembler à celle qui, dans le Prisonnier, gardait Patrick McGoohan au Village… Culture pop bien comprise dont on vous offre les sous-titres. On a envie de dire hardcore. Encore !

Jean-Pierre Simard le 24/09/2020
Idles - Ultra Mono - Partisan Records