L'AUTRE QUOTIDIEN

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Miguel Rio Branco, débuts en version photographe (1968/1992)

Arbitraires, comme toute sélection, les vues prises par Miguel Rio Branco et exposées au BAL retracent les débuts de son parcours photographique. Lui qui se veut artiste multimédia, peintre, cinéaste, photographe - et créateur de livres. Comme dit Ramuntcho Matta: Il y aurait beaucoup à dire sur l’apport de l’Amérique du Sud dans l‘avant-garde de la fin du XXe siècle.

Mona Lisa, Luziânia, 1974 © Miguel Rio Branco / Magnum Photos

« Toute photographie est par nature un document mais mon intention n’a jamais été de documenter. Je capture par la photographie des fragments dissociés, épars du réel, tentant de répondre viscéralement à une question : pourquoi la vie doit-elle être cela ? » Miguel Rio-Branco

Miguel Rio-Branco, né à Las Palmas en 1946 est un artiste brésilien (photographe, peintre, cinéaste et créateur d’installations multimédias) vivant et travaillant à Rio de Janeiro. En 1966, il étudie au New York Institute of Photography et en 1968 part étudier à la School of Industrial Design de Rio de Janeiro. Entre 1970 et 1972, il travaille à New York en tant que réalisateur et chef opérateur, puis réalise dans les années qui suivent plusieurs long et court-métrages expérimentaux. Parallèlement, il commence à exposer ses photographies dès 1972. Il devient à partir de 1980 correspondant pour Magnum Photos et son travail photographique est publié dans de nombreuses revues (Aperture, Stern, Photo Magazine).

Considérant le livre comme un support d’expression essentiel, il conçoit de nombreux ouvrages dont Sudor Dulce Amargo (Fondo de Cultura Económica, Mexico City,1985), Natka (Fundação Cultural de Curitib, 1996), Silent Book (Cosac & Naify, 1997), Miguel Rio Branco (Aperture, 1998) et Maldicidade (Taschen, 2019).

Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles, parmi lesquelles Beauty, the Beast à l’Art Institute of Boston en 2003 ; Plaisir de la douleur à la Maison Européenne de la Photographie à Paris en 2005 ; Solo au Kulturhuset Stockholm en 2011 ; Miguel Rio Branco: Nada Levarei quando morrer au Museu de Arte de São Paulo en 2017 ainsi que Miguel Rio Branco à l’Institut Moreira Salles de São Paulo en 2020.

Ses œuvres sont depuis longtemps présentes dans de nombreuses collections publiques et privées comme : Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro ; Museu de Arte de Sao Paulo ; Centre George Pompidou, Paris ; San Francisco Museum of Modern Art ; Stedelijk Museum, Amsterdam ; Museum of Photographic Arts, San Diego ; MoMA, New York.

Slip rouge, Rio de Janeiro, 1979 © Miguel Rio Branco / Magnum Photos

Comment voit-il le public français notre Bahianais d’adoption ? « J’ai eu une bonne année 2004/2005 avec cinq expositions individuelles, là-bas, dans des lieux prestigieux comme la MEP dans le Marais et aussi à Arles, d’une certaine manière ce fut bon, il y a eu des remous autour de mon nom. Mais je n’ai rien vendu. Les Français ne sont pas branchés, très conservateurs. Ils n’arrivent pas à comprendre ce que je fais, pas du tout. Ils mettent chaque artiste dans un tiroir en particulier, et moi il m’en faut plusieurs » conclue-t-il en riant… jaune. Certains critiques ou commissaires m’ont dit « Vos photos ne sont pas aboutieou ce genre de choses… »

Smoking eyes, Salvador de Bahia, 1979 © Miguel Rio Branco / Magnum Photos

Pourtant, dès le départ il y a bien la couleur crue à la manière des premiers maîtres genre Leiter et l’œil façon Bunuel pour la crudité/cruauté à prendre en compte; ce que les commissaires d’expo du BAL, Diane Dufour et Alexis Fabry stipulent ainsi : Miguel Rio Branco saisit les corps, hommes ou femmes, leur gloire ou leur fatigue, leur pudeur et leurs exhibitions, dans des cadrages volontiers serrés, où l’arrière-plan perd toute profondeur. Son regard soutient celui de ses modèles : rien n’est escamoté. Les personnages sont dos au mur. « La photographie le plus souvent oppresse ou asphyxie la réalité », dira l’artiste. À force de s’approcher, ses images s’imprègnent d’onirisme, sans éviter le grotesque, qu’elles provoquent et qui déborde, comme chez le dernier Goya. On a parlé, pour Miguel Rio Branco, de « réalisme exorbité » : le désastre attire l’œil ; l’imagination n’a d’autre issue que la réalité, sa violence, son immédiateté. Les blessures sont autant d’éclats narratifs, « sans début ni fin », des images-poèmes dans les ruines du monde.

Le rond et le pied caché, Mexique, 1985 © Miguel Rio Branco / Magnum Photos

Mais lui, longtemps correspondant de Magnum, en a eu finalement assez de faire acte de documentaliste et a fini par tenter d’autres approches de l’image, passant aussi bien par les installations, le cinéma que le retour à la peinture… La sélection du BAL balance aussi bien couleur que noir et blanc et offre une vue en coupe d’une piste de travail/lecture dans l’œuvre ( à l’œuvre) de ce théâtre du quotidien de la cruauté. A mon avis plus proche d’Artaud que du Bataille abondamment cité partout.

Jean-Pierre Simard le 24/09/2020
Miguel Rio-Branco - Photographies 1968/1992 -> 6/12/2020

Le BAL 6, impasse de la Défense 75018

Hollywood, Salvador de Bahia, 1979 © Miguel Rio Branco / Magnum Photos