Le jazz Indjun de Christian Scott aTunde Adjuah explose live avec Axiom
Vrai bonheur d’écoute que cet Axiom live joué/enregistré en mars dernier au Blue Note de New York par le groupe de Christian Scott aTunde Adjuah. Entre la reprise du Guinnevere de Crosby à la sauce Miles électrique et ses propres explorations jazzistiques pleines de percussions, flûtes véloces et claviers ébouriffés, on tient là un truc passionnant, vivant et qui fait chaud au corps comme au cœur.
La stretch music du trompettiste de la Nouvelle-Orléans consiste à étirer le jazz et à y fondre des genres similaires d'origine africaine et afro-américaine comme les percussions ouest-africaines, les styles afro-caribéens, le hip-hop et la musique de fanfare.
Les axiomes sont essentiellement des postulats sur lesquels repose une structure définie de manière abstraite, une déclaration ou une proposition considérée comme manifestement vraie... Les axiomes servent de point de départ à d'autres raisonnements et arguments. Il est difficile de trouver un corrélatif plus approprié au jazz et à la musique expansive... La musique extensible ( stretch = étirer) , en particulier dans un contexte live.
Chief Christian Scott aTunde Adjuah, à propos de son concept de Strecht Music et du titre Axiom
Passé sous le radar jusqu’à présent, alors qu’il est actif depuis 2012, mettons derechef un coup de projo sur le sieur Christian Scott, trompettiste et chef d’orchestre de son état, responsable d’albums sur Concord depuis 2012 et trois fois nominé aux Grammy Awards pour l’excellence de sa démarche iconoclaste. En effet, ce dernier, qui mixe avec un plaisir constant musique organique et électronique dans ses compositions, délivre ici un live d’excellente facture poussé par un septuor qui en veut : la flûtiste Elena Pinderhughes, le saxophoniste alto Alex Han, le percussionniste Weedie Braimah, Lawrence Fields (piano, claviers), le bassiste Kris Funn et le batteur Corey Fonville ; quand le leader joue de la trompette, de la trompette Adjuah, de la sirène et du bugle inversé. C'est la combinaison des sons engageants du leader, de ceux de l'ancien monde, du mélange des joueurs de première ligne (à la manière de la Nouvelle Orléans) et des percussions entraînantes, en particulier celles de Braimah, qui rendent le son de ce groupe si unique et emballant, à pousser le vieux jazz/funk/électro sur de nouveaux sentiers spirituels.
Si vous êtes un peu au courant des évolutions de la musique néo-orléanaise, de Dr John aux Meters en passant par le Professor Longhair qui tous s’inspirent de la musique des Black Indians, la population première du lieu, résultat du croisement des indiens et des esclaves ayant rejoint les tribus indiennes locales pour fuir l’esclavage, dont le mix culturel fait l’originalité du lieu comme des sons qui y sont produits, mêlant deux traditions à l’origine du jazz. Or, il s’avère que Chief Christian Scott aTunde Adjuah vient juste d’être intronisé Chieftain et Idi de la nation Xodokan des Black Masking Nations de la Nouvelle-Orléans. Well, le futur ne date pas d’hier … Et la démarche du chief n’a que peu à voir avec le funk, même si on le retrouve en concentré à certains endroits ( sur Diaspora), elle pousse le jazz vers une nouvelle multiplicité à la fois ancienne dans l’instrumentation et moderne dans son emploi de l’électronique comme recours, mais jamais fin. Assez conscient de sa démarche, il affirme que le jazz est un terme péjoratif, déclarant plutôt que "nous sommes récemment entrés dans le deuxième siècle de la musique créative et improvisée et que ce soir est une réévaluation de ce que nous jouons et pourquoi nous le jouons. Une nouvelle relation a été créée..." Même si, individuellement les membres du septuor, sonnent comme les musiciens d'une formation jazz, mais collectivement, créent une approche beaucoup plus contemporaine qui mélange des aspects de ce que Scott a un jour appelé le "trip hop" avec les conventions urbaines, les rythmes africains et des sentiments puissants.
Ok, le mot à la mode est spiritual jazz - et on est en plein dedans - mais je garde l’impression qu’à vouloir utiliser des tiroirs pour ranger la musique, elle finit toujours par déborder et traverser le fond du placard pour aller dire ailleurs de quoi elle vit et à propos de quoi elle s’exprime. Là, le chief vous facilite la tache : on parle des Black Indians et de leur actualité musicale. A écouter en boucle et je n’en dirais pas plus pour découvrir d’abord et apprécier le son, passée la découverte que cache l’immédiateté de la première sensation.
Jean-Pierre Simard le 3/09/2020
Christian Scott aTunde Adjuah - Axiom - Stretch Music