Un syndicat de police minoritaire dicte sa loi, organise en continu des manifs non autorisés et voudrait réglementer la circulation de l’info à son simple profit. Et côté justice, le gouvernement laisse faire, plus occupé à asseoir son futur qu’à assurer la continuité républicaine qui devrait dégommer sans atermoiement ces factieux… vieux Dee Dee Ramone versus nouvelle Arca.

Voter Reagan n’empêchait pas les Ramones d’écrire des pages entières de l’histoire du punk, mais après 15 ans de chaos avec le groupe, Dee Dee s‘en est éloigné pour prendre une nouveau départ européen. Après une brève liaison avortée avec Stiv Bators et Johnny Thunders à Paris, il s'installe à Londres avec l'intention de trouver la forme du punk contemporain, avec un plan pour un nouveau départ et un nouveau groupe.
 Dee Dee a été présenté par son ami Brian James (ex Damned/Lords of the New Church) à Alan Lee Shaw (ex Rings/Maniacs) et George Butler (ex Lighting Raiders) et un groupe s'est formé : les Dee Dee Ramone's Deadline. Alors que les répétitions battaient leur plein avec Alan à la basse/au chant, George à la batterie et Dee Dee à la guitare/au chant, le projet était présenté à Overground Records pour un contrat d'enregistrement, la sortie devant être soutenue par une tournée au Royaume-Uni. Mais pour des circonstances malvenues… comme l'état mental et physique fragile de Dee Dee, le projet s’est brutalement interrompu, avant que les enregistrements en studio ou les concerts ne puissent être bouclés. Ces démos de 1989 en sont les seuls témoignages et montrent les éclairs du génie de Dee Dee, l'un des plus importants compositeurs du punk.
 Ces titres n'ont jamais figuré sur aucune autre sorties de Dee Dee, sauf peut-être un single de 1995 qui partageait le propos avec une reprise de Nirvana… C’est bien pour l’histoire ça, mais le plus important est ailleurs - dans le ressenti et la signification du propos : ça sent l’approximatif, le son qui grince en dehors des clous, la voix dedans et dehors et les sous-entendu délivrés à propos, comme le rêve de gloire inhérent au rock et tous les moyens à porté pour y parvenir. Sauf que santé fragile, mort pas loin, il n’en sera encore une fois rien… 

On voit avec le passéisme revanchard d’Alliance Police, un peu comme chez Dee Dee Ramone, la manifestation d’un ordre ancien, et qui se voudrait le contraire, un bubon en phase de pré-explosion et à l’odeur nauséabonde. Comme les morceaux d’un puzzle disjoint qui voudrait faire sens dans son éparpillement et qui ne se délivre comme tel que par impuissance à faire sens… On est fort, on est plusieurs, on va y arriver. Enfin ! Mais bon, Dee Dee Ramone a eu le bon goût de mourir plus tôt.
Rock, macho rock, c’était déjà du réchauffé, déjà du passé. Et pourtant, elle tourne … 

Du côté d’Arca, sur le front LGBTQI, on ne vous fera pas la leçon sur les dires du Préfet Lallement qui, interrogé par la presse à propos des exactions du syndicat d’Extrême-droite ultra-présent dans la rue depuis quelque temps, répond qu’il n’a pas trouvé les organisateurs (quelqu’un pour l’aider ici ?) On dira qu’après la mort des avant-gardes à la fin des années 70, il ne reste que quelques grumeaux de contre-culture que tous les malveillants au pouvoir depuis Sarkozy tentent de mâchouiller pour mieux les faire disparaître; des preuves, de Tarnac aux diverses ZAD, en passant par les Gilets jaunes, la famille Traoré et toutes tentatives d’étranglement … ayant ou non entraîné la mort. Le non sens de ce formatage est sa seule survie. Si vous oubliez la culture, la pensée déviante et l’idée de vivre ensemble, cela peut passer. Mais ici, jamais - on se comprend ?

Alors Arca et son Kick I viennent, fort à propos, rappeler qu’autre chose simplement existe, quelque chose de puissant, défricheur et d’une haute teneur en expression nouvelle - quelque chose de culturel donc, qui ouvre des portes, des fenêtres et des pistes pour chasser la mauvaise odeur de vomi putride dégagée par les discours de ceux qui ne se conçoivent/vivent qu’au passé d’un moment historique contre lequel le monde entier à oublié de se prémunir, en laissant son discours devenir omniprésent… Est-ce là le doux frisson du neuf comme seul remède possible ? Peut-être qu’avec plus de propositions d’ordres différents, des frissons multiples, colorés, égalitaires, on cesserait d’écouter le chant des/de leurs sirènes (et des gyrophares omniprésents)… Face à ces énervés qui appliquent l’ordre qui leur convient, à la place de l’ordre républicain, pour lequel ils ont signé et qu’ils bafouent, sans vergogne, pour affoler les populations ( mal oui, peur rarement… ), il faut multiplier les dissonances, les divergences et le multiple pour atténuer la portée de leurs peurs qu’ils tentent vainement d’imposer par la farce de leurs bégaiements.

Le monde d'Alejandra Ghersi n'est pas le nôtre; un lieu plus profond et complexe - libéré des notions binaires de beauté et de laideur, de genre, de musique et de bruit. Le dernier-né de Ghersi, KiCk i provoque le délire et s’offre comme une bénéfique invitation à entrer dans son univers en constante mutation. C'est un fuck off magistral qui invite à habiter chaque fluctuation et facette de son moi sans limite.
 L'intelligence extraterrestre d’Arca se répand dans le paysage musical depuis dix ans ; responsable, d'une manière ou d'une autre, de la pop la plus excitante pour Kanye West, FKA, Björk ou Kelela.

Le son Arca - corrosif et beau, éclatant et liquide - a contribué à façonner le son du futur et KiCk i en offre la vision réalisée, des premiers beats méphitiques qui ouvrent Nonbinary au reggaeton caustique de Rosalía, et avec KLK ou la ballade au clair de lune de Calor, c'est Arca en plusieurs formes à la fois qui subsume la structure de la pop et la tonalité majeure occasionnelle, en les manipulant pour les adapter à son son déstabilisant. Même les morceaux les plus simples du disque - Watch, Riquiqui, KLK - sont dans un état d'effondrement et de régénération constant. Des pixels de son carénés, des battements comme des rochers qui craquent, des explosions de distorsion et des moments de clarté soudaine fusionnent pour créer quelque chose d’à la fois palpitant et troublant. 

On y croise donc son héroïne et collaboratrice Björk, et d’autres contemporains de la pop expérimentale Rosalía, Shygirl et SOPHIE. Chanté presque entièrement en espagnol (Björk a même pris des leçons d'énonciation de Rosalía pour sa performance frissonnante sur Afterwards), l'album est à la fois un exorcisme et un accueil des esprits. Ghersi a clairement exprimé son désir d'être vue comme plusieurs choses à la fois, à trouver du plaisir dans chaque couche de l'existence - KiCk i est le son des multitudes de la vie, une parfaite bande-son pour dissoudre les barrières qui nous définissaient autrefois. Ite Missa Est - mais pas à St-Nicolas du Chardonneret. Loin s’en faut, les premières paroles de Non-Binary étant : Je fais ce que je veux quand j'en ai envie Salope, j'ai même un tableau de chasse pour le prouver Un super déhanché et les formes qui vont avec, oui J'ai chopé la taille mannequin en grimpant des escaliers Comme des ongles manucurés enroulés autour d'une bite Voulez-vous goûter ?

A qui les cauchemars, hein ? La culture c’est du côté du point de vue que cela se situe, pas de celui qui serine un vieux mantra usé qui sent à la fois le sabre et le goupillon. Rompez !

Jean-Pierre Simard le 29/06/2020

Dee Dee Ramone - The Deadline Demos - Overground records
Arca - Kick i - XL Recordings