L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pepe Bradock revient. Brigitte Barbu est son nouvel alias… 

Déjà qu’il faut se gratter pour suivre les aventures de Pépé Bradock depuis le départ. On sait aussi que la surprise sera là, et on a toujours hâte de savoir où et sous quel avatar il va réapparaître. Ici, c’est Brigitte Barbu. Et tout n’est pas foutu. Loin s’en faut.

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Muzak pour ascenseurs en panne est le troisième album de Bradock en 24 ans, après l'anthologie de singles Synthèse en 1998 et le collage de l'année dernière, intitulé à juste titre What a Mess !  L'album n'est ni le "LP hip-hop abstrait" que Bradock avait promis, ni un exemple de la deep house avec laquelle il s'est fait un nom. Il n'y a pas de beat pour commencer, et à peine un soupçon des modèles constructifs que la house exige généralement ; les chansons suintent plutôt d'un point à l'autre comme des micro-organismes dans la soupe primordiale. Et on avoue adorer ça … 

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Le plus révélateur est le rôle qu’y joue la guitare électrique : Muzak pour ascenseurs en panne a été enregistrée et mixée pendant une semaine de résidence en studio, la guitare étant utilisée, selon lui, comme "un instrument à cerveau lavé, des machines à miroir et des ordinateurs". La présence de l'instrument ne devrait pas être une surprise totale - M. Bradock a commencé à jouer de la guitare à 14 ans et a été diplômé de groupes de jazz-funk parisiens avant que la house ne prenne le relais - mais l'instrument a à peine été intégré dans sa musique depuis. Au vu des exquises et souvent envoûtantes mélodies de guitare sur Muzak, Bradock a un don pour la guitare atmosphérique que Steve Hillage a utilisées sur des albums comme Rainbow Dome Musick; avec ses notes embrumées sur le mixage comme pour suggérer la pluie. Mais plutôt que de refléter les machines, la guitare s'y infiltre, dissolvant la frontière entre le numérique et l'analogique en rejoignant la collection de drones, trilles et pulsations ésotériques de Bradock. Personne n’oublie qu’il adore bidouiller et fabriquer d’insaisissables zigouigouis musicaux qui à la première écoute défrisent ; avant qu’on s’aperçoive que d’autres producteurs les emploient à leur tour… 

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Les meilleurs moments de l'album coïncident avec le travail mélodique le plus fort. "Dae Boj DeMoya" s'appuie sur une mélodie d'une grande tendresse, dont le son hybride guitare/synthétiseur se situe entre le sifflet, la pédale d'acier et la guitare slide ; sa teinte envoûtante d'Americana évoque le voyage de la KLF au pays des rêves américains sur Chill Out, la mélodie s'enveloppant progressivement de boucles électroniques au fur et à mesure que le morceau se développe. "Sainte Amante" passe de lignes de guitare arachnéennes à des accords aériens, qui baignent les arpèges électroniques de la chanson dans une lumière chatoyante, tandis que "Mistori" utilise une sublime combinaison de guitare réverbérée et de bourdon de synthé pour tracer des couches de mélodie, pour finir comme Apollo : Atmosphères et bandes sonores si Brian Eno avait réglé ses commandes sur le cœur du soleil plutôt que sur la surface stérile de la lune.

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La tendance de Muzak à digresser est à la fois son charme et son talon d'Achille. Lorsque les idées musicales sont fortes, c'est un luxe de dériver sur la vague sans être distrait par des rythmes ou des éléments étrangers ; lorsqu'elles sont faibles ou mal définies, comme sur Ray Z, la musique semble plutôt légère ; plus une collection de sons que tout ce qui s'approche d'une chanson. Peut-être que terminer un album en une semaine était une proposition irréaliste pour un artiste qui avoue travailler au rythme d'un "escargot de Bourgogne". D'autre part, la tendance à l'auto-sabotage éblouissant est typiquement Pépé Bradock, un producteur de grand talent dont l'obstination fait partie du lot. Il n'y a pas de réponses simples à l'énigme de Bradock. Cette semaine, c'est Brigitte Barbu qui enregistre un caprice amorphe à la guitare ; la semaine prochaine, il ne le sera pas, mais Muzak pour ascenseurs en panne reste un autre jalon parfaitement imparfait sur l'exaspérante voie dorée de Bradock. Un album qui fait Ni, Ni !!!

Jean-Pierre Simard le 16/06/2020
Brigitte Barbu -
Muzak pour ascenseurs en panne - Circus Company Records

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