Producteur de trance et punk dans l’âme, Lorenzo Senni, italien de Rimini, sort son premier album chez WARP et pousse la logique des rave parties à bout, en réinventant les méthodes pour lui faire exprimer/retrouver un son étonnant - et l’aventure.

Son premier album, Quantum Jelly, sorti en 2012, explorait la composition minimaliste à base de synthés trash rave, avec un esprit punk louable et sans sortir du cadre existant. C’est avec Superimpositions (2014), qu’elle a commencé à s’ouvrir pour aller loucher sur les mêmes terrains que Four Tet ou Caribou. Et aujourd’hui, on découvre qu’il ne travaille que sur une sorte d’exploration scientifique de l'effet produit par la musique électronique, en l'affinant et en l'intensifiant pour provoquer la réponse la plus jouissive possible.

Ce fameux effet, c’est celui du DJ qui, après avoir retenu le son pour faire place à un silence momentané, lâche d’un coup un envol extatique qui vous scotche par son bonheur immédiat et total, par un travail de crescendo continu qui vous amène ici et vous emporte illico ; en vous faisant ressentir que vous êtes entré dans ce que vous attendiez et que l’effet retard n’en est que plus puissant. Et cela s’est intensifié avec Win in the Flat World, Rave Voyeur et The Shape of Trance to Come, en peaufinant la méthode pour approcher de l’effet précis et en faire une norme …

Scacco Matto tente une autre approche, sans encore oser se servir de voix ni de batteries. On y retrouve bien les synthés au son coupant comme des rasoirs qui font plus d’effet que des batteries programmées, par leur dureté, mais sans utiliser de boucles répétitives, toujours en mouvement ; ce qu’on retrouve sur l’introductif Discipline of Enthusiasm qui avance en zigzag pour mieux vous entraîner dans un son qui décoiffe. Et tant qu’à oser, il détruit les mélodies à grand coup d’envolées kitsch et flottantes sur XBreakingEdgeX et Move in Silence (Only Speak When It's Time to Say Checkmate), les deux aussi bienvenus qu'intrigants. Les vraies trouvailles concernent les titres centraux, une paire de ballades, dont Canone Infinito offre un son pétant et déformé qui ressemble à celui de la guitare du E2-E9 de Manuel Göttsching ; un pur moment de bonheur extatique. La suite, Dance Tonight Revolution Tomorrow est exceptionnelle, avec une mélodie facile, jouée sur une harpe algorithmique, à laquelle s'ajoutent d'autres ersatz de cordes, dont une contrebasse en arrière dans le mixage. Il capture ce beau moment dans le club où le rythme s'éloigne et où vous ressortez de votre espace intérieur pour regarder autour de vous et retrouver vos proches, le moment où dans les rave anglaises du début des 90’s, le Dj envoyait les James ou The Sun is Shining des Beloved. Le moment aquaplanning en douceur.

Scacco Matto signifie échec et mat, et Senni joue effectivement sa reine en dernier. Think Big est son morceau le plus brillant à ce jour, construit autour d'une mélodie aussi charmante que naïve offerte dans la nudité de son signal analogique. Sous la mélodie, les synthés bégaient dans la même syncopation poignante que des pianos house venus de Chicago, avant d'être remplacés par des rafales de basses synthétiques qui mènent le morceau et l’album à sa conclusion où même l’infini du plaisir est porté au climax. Le bonheur est bien sûr de recommencer … Essayez, pour voir - et sentir le son ! Nous, on adore particulièrement l’architecture. Et le moins qu’on puisse dire, est que c’est un excellent architecte.

Jean-Pierre Simard le 29/04/2020
Lorenzo Senni - Scacco Matto - WARP