Lido Pimienta : Miss Colombia réclame sa couronne !
Le vœu le plus cher de Lido Pimienta, afro-colombienne queer d'origine wayuu, mère célibataire et hispanophone est de donner envie aux filles brunes de monter au front. Miss Colombia est son mode d’emploi. Exploration.
Alors qu’elle devait figurer à l’affiche du prochain - et annulé - festival Villette Sonique, il faudra vous contenter de l’album Miss Colombia, son nouvel et enthousiasmant album. Flashback : il y a trois ans, la Torontoise d’origine colombienne Lido Pimienta sortait de nulle part pour recevoir le très convoité prix Polaris, avec son premier album La Papessa, paru sans même l’appui d’un label, chanté entièrement en espagnol et mettant en avant une musique séduisante, inondée de souches de cumbia, de porro, de synthé pop et d'arrangements électro mélangés aux sons de son héritage indigène et afro-colombien. Et, comme Björk à laquelle on la compare souvent, pour l’étendue de son registre vocale et ses partis-pris de mélanges musicaux détonants, elle manifeste une vraie envie d’exister et de partager son identité personnelle et collective.
Parce qu’elle chante en espagnol, il est assez ardu pour les non hispanophones de saisir la portée politique de sa musique. Née à Barranquilla, en Colombie, elle s’est toujours identifiée à son héritage Wayuu, peuple autochtone dont elle possède des origines du côté maternel. À 11 ans, elle jouait dans un groupe metal, dénonçant les politiques du président conservateur Andrés Arango. Une fois arrivée au Canada, dans les années 2000, elle a vu sa mère être victime de préjugés qui viennent avec le fait d’être immigrante dans un milieu presque entièrement blanc, à London dans l’Ontario. Elle lui a d’ailleurs rendu hommage dans son discours d’acceptation du prix Polaris, en plus de dénoncer le « spécimen aryen » qui lui a jadis dit de retourner dans son pays.
Une paire de titres a cappella ouvre et clôt le disque : "Para Transcriber SOL" et son pendant, "Para Transcriber LUNA" qui donnent une cohésion aux autres titres. "Eso Que Tu Haces" fusionne des rythmes de cumbia agile à une pop synthétisée céleste, tandis que la voix de Pimienta s'élève au-dessus de bois luxuriants et percutants, en admonestant "cette chose que vous ne faites pas, c'est l'amour". Les bois et les cuivres s'entrechoquent sur l'éthéré "Coming Thru", tandis que les tambours en acier donnent à "Te Queria" un air caraïbe. A mi-parcours, l'album fait un détour sonore et géographique vers le village colombien de San Basilio de Palenque, connu pour son héritage comme lieu d'asile des esclaves africains libérés des Espagnols. Là, Pimienta invite le vénéré ensemble de percussions Sexteto Tabalá, dont le chef, Rafael Cassiani, apporte un morceau de spoken word avant la collaboration du groupe sur "Quiero Que Me Salves", qui a tous les atours d’un field recording. Ensuite, Pimienta va s’essayer… au latin, à l'afro-pop et au reggaeton sur le vif "Resisto y Ya", avant de terminer par un vocal époustouflant sur "Para Transcriber LUNA". Il y a de nombreuses strates dans les 11 pistes de l’album qui toutes méritent d'être explorées.
Miss Colombia n’est pas un disque parfait, loin de là, mais c’est une œuvre majeure qui nous renvoie à nos privilèges, en nous éveillant au récit des populations marginalisées : femmes, immigrantes, autochtones, queer… Toutes des identités dont Lido Pimienta se réclame. De nada !
Jean-Pierre Simard le 21/04/2020
Lido Pimienta - Miss Colombia - Anti/PIAS