Yene Mircha, la jazzothiopie d'Hailu Mergia
Quand, dégoûté de la tournure des événements à Addis-Abeba, avec l’interdiction de la musique, Hailu Mergia s’est retrouvé taxi à Washington DC, dans les 80’s ; il a pris son temps avant de s’y remettre. Yene Mircha en témoigne brillamment.
Essayer d'associer un seul mot ou une seule étiquette à la musique d’Hailu Mergia est une ineptie. Ce multi-instrumentiste né en Éthiopie a acquis une renommée dans son pays natal pour sa fusion révolutionnaire de jazz, de funk et de musique populaire éthiopienne dans les 70’s. Depuis qu'il s'est installé à Washington, D.C., au début des années 80, sa palette s'est encore enrichie, s'élargissant pour inclure des éléments de reggae et de R&B. Il tourne depuis avec un groupe impeccable qui joue son répertoire à géométrie variable, Le Gil Evans éthiopien vient de frapper très fort avec son second album qui nous occupe ici et arrive après les ressorties triomphantes d’anciens titres ressortis par Awesome Tapes From Africa depuis 5 ans.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le nombre d'idées mélangées sur Yene Mircha, est assez époustouflant. Semen Ena Debub, le premier titre, ménage ses effets en démarrant a un balancement envoûtant, avec l'accordéon de Mergia, la guitare d'Abraham Rezene Habte et le mesenqo (un instrument à une corde à archet) de Setegn Atenaw, enfilant des textures traditionalistes dans la basse d'Alemseged Kebede et la batterie de Ken Joseph. C'est tellement fascinant que vous n'êtes pas du tout préparé à vous lancer dans un joyeux funk dur à la fin de la chanson ; qui aurait cru qu'un accordéon pouvait groover aussi fort ?
On l’avait vu, à l’aise à Bobigny, au final éthiopien de Banlieues Bleues il y a deux ans, partager l’affiche avec Mahmoud Ahmed et on avait été scotché par la générosité et l’inventivité de ses partitions et de sa prestation, et cet album développe certaines des idées avancées là-bas, en une nouvelle odyssée à travers l'ethio-jazz Yene Mircha : du reggae dub Bayne Lay Yihedal, sur lequel Mergia joue du piano, de l'orgue et du synthétiseur), à la chanson éthiopienne traditionnelle funkisée Abichu Nega Nega, en passant par la soul gospel de Yene Abeba. Quant à Shemendefer, (chemin de fer ? ) le titre réussit à combiner tous ces éléments en un air rebondissant, polyrythmique et serein qui laisse même la place à Kebede pour débiter une chouette improvisation de basse avec Mergia qui improvise également quelques riffs d'orgue. Le titre qui suit, extrait de son avant-dernier album, paru sur Awesome Tapes from Africa, là pour montrer la continuité.
La musique éthiopienne étant une des premières à avoir révélé ce que voulait dire world music par ci ,avec la série Ethiopiques, on n’en est jamais vraiment revenu .A l’écoute de cet album, ça risque de durer un moment ; autant pour la palette sonore de plus en plus large, ici déployée, que pour l’infini du groove qui déboule sans crier gare. Et qui marque durablement. Ecoutez bien, et si vous n’avez pas, à un moment l’envie de vous trémousser… consultez ! La preuve ci dessous, avec une Boiler Room Session datant de 2015, juste comme ça …
Jean-Pierre Simard le 30/03/2020
Hailu Mergia - Yene Mircha - Awesome Tapes From Africa