Mise à jour du larvatus prodeo par Sandra Moussempès

Féérie et imaginaire en mutation poétique continue, pour gratter par le texte et par la voix ce qui s’élabore derrière masques et façades.

– Pourrait-on créer un répertoire de femmes qui mythifient la rencontre / attente ?
Des kamikazes affectives privilégiant le bénéfice secondaire à la « self esteem » analysant chaque particule d’une atmosphère idyllique
En susurrant quelques phrases toxiques,
bribes d’indépendance, en souvenir d’une hérédité contrariée sous forme de soutien pédagogique

Cinq ans avant « Colloque des télépathes », et déjà aux éditions de L’Attente, la poétesse, chanteuse et performeuse Sandra Moussempès nous offrait en 2012 ces « Acrobaties dessinées », accompagnées du cd « Beauty Sitcom »., dont l’écoute permet de saisir concrètement l’intense aller-retour entre texte et voix plurielles (même émanant d’une unique artiste) qui s’impose au fil des années comme une profonde et mystérieuse marque de fabrique. On peut également se procurer les enregistrements « Vox Museum » et « Videographia », aux éditions Jou, pour poursuivre cette fabuleuse investigation sonore au gré du temps. Comme l’autrice s’en expliquait aux détours d’un excellent entretien avec Emmanuèle Jawad dans Poezibao (à lire ici), c’est probablement dans ce texte-ci que se manifeste pour la première fois de manière aussi claire l’irruption progressive, au cœur de la poésie et du chant, d’éléments autobiographiques soigneusement disjoints (la photographie de quatrième de couverture en constituant à son tour un témoignage signifiant, comme celle de la page 64, bien entendu), éléments qui contribuent décisivement à étayer une entreprise globale visant à regarder derrière les façades et les masques, sociaux et intimes, pour approcher mine de rien, sans effaroucher tout de suite, ce qui s’y dissimule. Un talent de contorsionniste psychologique et vocal, et en effet d’acrobate, est ici nécessaire, indéniablement – et la phrase de Sandra Moussempès, lue ou entendue, ne se dérobe jamais à sa mission.

Ne filmez pas quelque chose à visionner dans quelques années
Non
Pas ça
Ne prenez pas le passé pour argent comptant
Avec ou sans driver
Les rushs resteront abandonnés

Que surgissent Britney Spears ou Iphigénie, Emily Brontë (Kate Bush se retrouvant fatalement en filigrane) ou Eminem, Emily Dickinson ou Sylvia Plath, The Wolfgang Press ou l’inspecteur Derrick, ce sont bien des « résurgences momentanées des sensations visuelles » (le titre de l’une des parties) qui sont ici à l’œuvre, plus ou moins subrepticement – alors même que la dimension sonore, même hors du cd d’accompagnement proposé avec « Beauty Sitcom », demeure omniprésente. En triturant presque magiquement un matériau mémoriel éventuellement disparate – mais pourtant formidablement agencé -, Sandra Moussempès dévoile non seulement l’une des composantes imaginaires fondamentales qui hante la musique de l’indie rock depuis la fin des années 80, mais aussi la mosaïque de hasards et de nécessités qui compose une histoire donnée à la place d’autres histoires possibles. Et elle le pratique au moyen d’une poésie étonnante qui sait caresser aussi bien que cravacher, en une joie paradoxalement silencieuse de mots et de formules explosives.

Il s’agit du sud, peu importe
Le projet se détournant du projet initial
S’essayer à l’essai faute de creuser une évidence

Le développement enveloppe les hypothèses
concernant la fonction d’un papillon de nuit

Surprise de l’antiposture
l’insecte se colle au pare-brise

Des cambrures n’engagent pas l’unité d’un récit
mais ses lucarnes

Ou postpunk tout ce qui précède l’envoûtement
Prédispose à l’embrasement d’une illusion

Nous aurons la joie d’accueillir Sandra Moussempès à la librairie Charybde (Ground Control, 81 rue du Charolais 75012 Paris) le jeudi 6 février prochain à partir de 19 h 30 pour une lecture et une discussion autour de son dernier texte en date, « Cinéma de l’affect ».

Sandra Moussempès - Acrobaties dessinées & CD Beauty Sitcom - éditions de l’Attente
Charybde2 le 6/20/2020

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