Découverte ! Une symphonie citadine de poche avec Ernest Hood
Quand, par hasard, Enyd Blyton croise Boards of Canada, à Portland au mitan des 70’s, cela fait remonter quelques instances mémorielles enfantines et renvoie à un certain état d’innocence. Mi field recording, mi-composition, on se trouve devant le Neighborhoods de Ernest Hood qui ressort, après un tirage confidentiel à sa sortie, de quelques centaines d’exemplaires, distribué aux amis et proches. Bonheur !
Si vous avez déjà été assis dans la cour au crépuscule, juste avant la sortie des moustiques, fait du vélo dans les banlieues en été, ou même simplement conduit dans votre propre quartier avec les fenêtres baissées, vous entendrez dans Neighborhoods un son réminiscent de ces instants. Qui est le type qui a su tirer de tels moments de la vie quotidienne, les mettre en pièces et les assembler ?
Guitariste de jazz rétamé par une crise de polio au milieu des années 50 et obligé de passer à la cithare, Ernest Hood n’a jamais abandonné la musique et on a ainsi pu le retrouver musicien de session auprès de Flora Purim, ou des stars de la fusion comme George Duke et Stanley Clarke. À partir du milieu des années 50, Hood a commencé à utiliser un enregistreur à fil pour collecter les sons autour de lui, pour finalement passer à un enregistreur à bobine et à un microphone, assemblant ses enregistrements sur le terrain en "cartes postales audio" pour son émission de radio. Comme le racontent les notes de la pochette, Hood se garait subrepticement dans les environs de Portland, "en noircissant les vitres de sa voiture avec un tissu sombre pour servir de coupe-vent", ce qui lui a valu d'être remarqué par des voisins inquiets.
Ce n'est qu'en 1974 que Hood a commencé à rassembler tous ces enregistrements de terrain et ces bribes de dialogue dans les quartiers, en tissant les voix de son propre fils et de ses amis de la famille. Il avait alors une cinquantaine d'années et voyait l'album comme un regard nostalgique sur sa propre enfance, une période qui s'est rapidement effacée de sa mémoire dans l'après-guerre. On parle d'un bateau fluvial coulé et de trains à vapeur, et d'un jeu de coups de pied dans la canette, ce qui n'est pas très éloigné de ce que Ray Davies chantait sur les albums des Kinks. Mais on n'a jamais l'impression que Hood se languit de ces temps perdus, au point de documenter les similitudes particulières entre sa propre jeunesse passée et ce qu'il pouvait entendre tout autour de lui à ce moment-là.
L'album s'ouvre sur des oiseaux, des chiens qui aboient, un enfant qui siffle, une voiture qui passe - le genre de choses qui se précipitent quand on tire la porte du garage. Quand les rêveries de Hood, cithare et synthétiseur, s'animent, elles se déplacent avec la logique du vent dans les arbres, qui prend de la vitesse puis redescend, serpentant à son propre rythme. Un de ses premiers synthétiseurs lui permet de chanter en même temps que le bruit des oiseaux, puis d'imiter un air que les enfants de la rue hurlent ensuite. On note qu’à l’époque, à part Stevie Wonder et sa Secret Life of Plants, l’ambient était quelques peu absent du paysage sonore, hors library music. Et, à ce propos, les notes de pochette écrites par Hood lui-même disaient ceci : "Peu importe dans quel quartier vous avez germé, les jeux auxquels vous avez joués... et les sentiments éprouvés... sont terriblement familiers." Les chansons comme "At the Store" et "After School" peuvent être jouées à peu près partout. Hood entend une symphonie dans le bruit quotidien de la vie américaine, en direct de Portland, Oregon qui deviendra une ville cool et à la mode, quelques décennies après avoir accueilli les derniers écrivains de la scène beat de San Francisco, à ce moment précis…
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Et, pour une fois, il faudra remercier YouTube ( vous avez bien lu !) dont l’algorithme a su montrer les millions de vues des vidéos consacrés à ce petit moment de plénitude pré-adolescente et inciter le label Freedom to Spend (avec un pressage nettement amélioré, réparti sur deux disques), à le ressortir. Flash non pasteurisé d’un passé fantasmé et sédatif libératoire. Vous, je ne sais pas, mais moi j’ai piscine…
Jean-Pierre Simard le 19/02/2020
Ernest Hood - Neighborhoods - Freedom to Spend