Les héros des bandes dessinées à succès sont toujours conçus pour que le lecteur puisse s'identifier à eux. Soit avec leur force, soit avec leur faiblesse. Dans un cas, cependant, l'identification n'était ni avec la force ni la faiblesse, mais avec l'ingéniosité et l'humanité. Et c'était Mafalda.

Pendant un certain nombre de générations, non seulement en Amérique latine où elle était extrêmement populaire, mais aussi en Europe, Mafalda a été un point de référence.

Paradoxalement, ce n'est qu'une courte bande dessinée avec une écolière, ses amis et sa famille comme protagoniste.

Mafalda n'était pas l'expression d'une «rage juvénile» mais un être multiple et profondément en colère contre la destination du monde.

C'était l'expression d'une exigence de logique, de justice et d'humanité.

C'était la confrontation constante avec le cynisme du pouvoir dans toutes ses variantes mais aussi l'hypocrisie des politiciens.

C'était le combat contre l'absurdité de la guerre et toutes les formes d'oppression.

C'était l’expression d’un défi envers des stéréotypes sociaux (y compris patriarcaux), du calcul des intérêts, mais aussi du compromis.

C'était l'esprit de "1968", du point de vue de tous ceux qui voulaient voir un monde plus juste et c'est pourquoi il pouvait toucher les nouveaux et les jeunes (et pas si jeunes et jeunes…) pour des décennies plus tard.

Profondément politisé, Quino a réussi à créer une figure qui a montré que le plus grand pouvoir ne résidait pas dans l’usage des poings ou dans la fait qu’on a une plus grande gueule que l’autre, mais dans l'ingéniosité et le courage de l'opinion et de la critique, équilibrant à merveille entre espoir et mélancolie constante sur la difficulté de changer le monde.

Et c'est pourquoi il nous a offert un repère, beaucoup plus substantiel qu'il ne s'y attendait, une balise morale et - pourquoi pas? - politique particulière. Et c'est pourquoi vous pourriez vous identifier à ce personnage qui pendant des heures a semblé beaucoup plus substantiellement (et dangereusement) rebelle que toutes les formes classiques de révolutionnaires.

Et bien sûr, Mafalda nous a donné les arguments définitifs pour lesquels nous ne voulons pas manger notre soupe.

Panagiotis Sotiris, le 1 octobre 2020
Article original paru dans le quotidien grec In.gr
Traduction et édition l’Autre Quotidien