La petite musique essentielle du "Sundowner" de Kevin Morby
Quelle année de merde que 2020. La campagne électorale étasunienne se tient par réseaux tv interposés entre Donald Duck et Joe Bidon. Not’résident de la paix publique éructe des discours aussi creux qu’inopportuns, à valider ses hypothèses rétrogrades avec un aréopage de sinistres qui filent la même quenouille piquée aux mythes d’antan. Oui, mais sur le front de la culture, le “Sundowner” de Kevin Morby tient la route dans une veine proche de Cormac McCarthy, exprimé avec un satori bien dans l’air du temps.
Il est difficile d'imaginer un mot plus adéquat pour décrire l'expérience de la pandémie que "sundowner", le titre du dernier album de Kevin Morby. Défini ici comme "quelqu'un qui ressent une mélancolie accrue au crépuscule", Morby a découvert ce terme lors de son déménagement de Los Angeles à Kansas City, sa ville natale, il y a quelques années, lorsque lui et sa partenaire Katie Crutchfield (de Waxahatchee) ont remarqué et ressenti comme une petite dépression quotidienne au coucher du soleil. En d'autres termes, l'état et une grande partie de l'album qui porte son nom sont bien antérieurs à la crise mondiale actuelle. Et pourtant, nous sommes là, en plein dedans, et ce nouvel album se pose comme contre-feu/satori, en se rappelant que même lorsqu'il ressemble à une construction immuable, le temps continue de passer.
Les paroles de Morby mélangent toujours un fond autobiographique à des abstractions balisées par le quotidien. Et, le son de Sundowner vous emmène en extérieur contempler une vue magnifique, sentir le gravier crisser sous vos pieds, laisser le vent courir dans vos cheveux, tandis qu'un carillon chante au loin et qu'un feu de camps crisse par intermittence. L'instrumentation et le jeu de guitare évoquent même une sérénade, pour résumer ce lieu et ce temps crépusculaire, quitte à vous transformer à votre tour en Sundowner. Ce mot, généralement attribué à un apéro qu’on boit à ce moment précis, se trouve ici soudain personnalisé en “crépusculeur”, celui qui vit ce moment avec un spleen aussi puissant que limité, à la descente du soleil et avant l’allumage des lumières pour l’arrivée de la nuit. Prosaïquement, on vous parle de retourner à la campagne pour éviter le COVD citadin et l’administration républicaine qui fait n’importe quoi. Symboliquement on y décèle un satori temporel posant ses questions à partir d’une expérience vécue. Comme si, dans le shaker de Morby, il fallait le recul de la campagne pour parler de la pandémie sur un mode décalé, zen et foutrement attrayant.
Le monde diffracté de Morby parle citadin, d’un point de vue campagnard ; belle astuce et joli tour de force. Sous couvert d’œuvre pastorale, l’album évoquant des visions séduisantes des paysages du centre des USA avec vallées dorées, rivières qui coulent à flots, longs tronçons d'autoroutes vides et soleil se couchant sur un vaste paysage pastoral. Les images, associées aux récits lyriques de Morby, qui capturent des sentiments de tristesse et de tendresse, constituent un disque vraiment méditatif : solitaire?, reclus?, en recul ?. Ne dire que cela c’est juste passer à côté du propos… qui dit son lieu d’origine en mode folk/rock - mais du bon côté étasunien, pas celui des rednecks déclassés et suprématistes. Non. Du côté de l’ouverture et de l’attention au monde qui fait qu’on peut s’accrocher à du vivant depuis les beatnicks (Vu ? )
Ici, on se prend de plein fouet et, les grand espaces avec leur histoire, comme respiration possible, et les morts qui s’alignent comme à la parade du fait de l’administration Trump ( Extinction/Rebellion ?). Alors, les deux derniers titres laissent dans l’expectative. Après avoir envoyé ceci …
Toute la beauté du crépuscule s’y déploie ensuite, à décrire non seulement le moment, mais aussi son ressenti et les évocations qui vont avec… Le troubadour évoque, à peine en creux, le feeling terrible et le désespoir ambiant - mais sur un mode méditatif et donc supportable de la crise actuelle. Il y a une spiritualité dans Sundowner, comme un tourbillon de fumée provenant d'un feu de camp, en route vers sa prochaine vie quelque part dans l'atmosphère. Nous entendons Morby se connecter avec cet être de l'au-delà de manière assez littérale sur Campfire, avec une épitaphe de riffs de guitare chantants qui va s'estomper, en un vers de Crutchfield à peine perceptible, sur fond de crépitement de flammes, et se termine chargé d'une énergie nerveuse. Morby y murmure et hurle comme s'il était possédé par l'impact profond que ces âmes ont eu sur lui. C'est la pierre angulaire de Sundowner. On n’oublie pas non plus l’intro assez magique de Valley ni le Brother, Sister qui vient ensuite rappeler le Jonathan Ritchman d’Egyptian Reggae. Un peu comme si le Lou Reed rat des villes devenait, pour un temps, rat des champs.
Alors, que dire des artistes abandonnés par des gouvernements acculturés et crétins qui pensent travail (et privilèges pour eux) quand la culture est la respiration et la manifestation de la vie au quotidien ; dont ils votent les tenants et aboutissants sans en subir les conséquences - mais surtout en comprendre les finalités. Churchill refusait pendant la Seconde Guerre mondiale que le budget de la Culture soit de la moindre façon amoindri, en ajoutant “Sinon, pourquoi se battre ?” Les actuels gérants d’un capitalisme (post?) crise ne se souviennent même pas de la crise de 1929 en toujours prêchant le croissance, réduite à leur seul profit. Mais, de Lagos à Bangkok, la jeunesse exige des réformes. Alors ?
Jean-Pierre Simard le 16/10/20
Kevin Morby - Sundowner - Dead Oceans Records