L'AUTRE QUOTIDIEN

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18/35 L'Homme-Sang plutôt moite du combiné…

La sonnerie du téléphone a rompu le silence. Biaise avait coupé le son de la télé. Les images étaient révoltantes et les commentaires lui donnaient envie de prendre un flingue et de tirer dans l’écran. Il a posé son verre et décroché sans dire un mot.



Il y a eu un blanc à l'autre bout de la ligne, puis une voix a fini par dire :

- Monsieur Biaise ?

- A ton avis, gros malin ?

- Sir Burton à l'appareil, je pense qu'il serait temps que nous ayons une petite conversation.

C'était la voix d'un mec qui se faisait laver les pieds aux huiles essentielles par des esclaves asiatiques mineures. Biaise n’était pas d'humeur à lui dérouler le tapis rouge, Sir ou pas Sir, il l'emmerdait. Les Rois et les Reines font les Sirs, il admirait la vraie aristocratie, celle des Count ( Basie ), des Duke ( Ellington ), les seuls à mériter des titres de noblesse. Les sirs et les lords ne sont que des imposteurs.

- Sir Burlington, vous tombez mal. Si c'est pour me vendre des chaussettes, je ne suis pas preneur.

Il y a eu un gargouillis dans le récepteur, l’homme ravalait sa salive.

- Sachez, monsieur Biaise, beugla le Sir, que vous avez tout intérêt à m'écouter.

- Et pourquoi ça, je vous connais ni d'Eve, ni de ma dent.

Ça n'avait pas de sens ( à moins de considérer que Biaise eut une dent contre lui ), mais Biaise a trouvé que ça sonnait bien. Le non-sens, c'est une spécialité anglaise. Un vrai Sir aurait su apprécier ses efforts.

- Je ne comprends pas, monsieur Biaise. Qu'est-ce que vous voulez dire par là.

- Par là, rien, mais par ici vous devez pas être si anglais que ça... Elle remonte à combien d'années votre anglitude ?

- Etes-vous sobre, monsieur Biaise ?

- Et vous ? Pour oser déranger les honnêtes citoyens à une heure pareille et à un moment aussi décisif de l'année, vous devez pas clair non plus.

- C'est que j'ai de bonnes raisons de le faire, aussi je vais aller droit au but, monsieur Biaise ( Le ton était ferme, mais radouci. ). Je suis la voix de l'Ikeabana en France... Je me fais bien comprendre ? Nous avons pas mal de choses à nous dire, je crois.

- Ah oui ?

- Des malentendus à dissiper. Nous ne sommes pas partis sur de bonnes bases. Je crois que nous nous sommes trompés à votre sujet. C'est regrettable. Il est temps d'y remédier.

- Pourquoi pas, mais pas avant que vous ayez répondu à une petite devinette. Vous avez le choix entre philosophie et jazz.

- Je vous demande pardon ?

- Si vous tenez tant que ça à me voir, ce privilège se mérite. Il suffit de répondre correctement à une question sur la philosophie ou le jazz. Alors, vous préférez quoi ?

- Euh, jazz.

- C'est facile, vous allez voir. Comment s’intitule l’autobiographie de Charles Mingus ? Vous avez trois secondes.

Branle-bas de combat à l'autre bout de la ligne. On s'activait. Biaise imaginait la scène. Le Sir avait branché le haut-parleur, les petites mains besogneuses tapaient dans Google à toute blinde et la petite main number one est venue souffler le résultat à l'oreille du Sir.

- Moins qu’un chien ! annonça fièrement l'anglais.

- Bravo. On vous a filé un coup de main, mais je serai fair-play sur ce coup là. Alors on se voit quand ?

- Disons demain. Votre heure sera la mienne.

- Alors pas avant midi.

- Eh bien, disons pour le déjeuner. Soyez mon invité.

- Si ça peut vous faire plaisir.

- Parfait. A demain, monsieur Biaise.

Fin de la conversation. Un sous-fifre a pris le relais et a expliqué un ou deux trucs sans intérêt à Biaise avant de lui souhaiter une bonne fin de soirée. Biaise a reporté son attention sur l'écran. Les manifestants continuaient de se faire copieusement défoncer la gueule par des forces de l’ordre ravies de pouvoir s’en donner à cœur joie. Les consignes étaient claires. Faire cracher le sang à tous ceux qui s’opposaient au nouveau pouvoir.

Biaise a éteint le récepteur. Il s’est demandé ce qui lui valait d'être courtisé par tant de personnalités, et si différentes. Sa cote de popularité augmentait de jour en jour. Une fois, un Bill. Une autre fois, Matriona. Ce soir, un Sir. Demain, Rihanna ? Il n’aurait pas dit non. En attendant, il a composé le numéro du portable de Bill.

Jean Songe le 15/01/2020
18/35 L'Homme-Sang plutôt moite du combiné… 

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