My Body ≠ Ta Chose. Une exposition féministe explosive
« Je n’ai pas la prétention d’être jolie. J’ai les genoux pointus et les seins comme un garçon de dix-sept ans. Mais si mon visage est maigre et laid, si les dents me sortent de la bouche, mes yeux sont beaux et mon corps intelligent ». Josephine Baker, entretien pour Marseille-Matin, le 21 novembre 1931.
Le 2 octobre 1925, une femme noire illumine La Revue nègre au Théâtre des Champs-Élysées ; elle danse le Charleston, avec une jupe faite de bananes. Cette femme brillante, c’est Joséphine Baker. Ayant échappé au racisme américain, elle a très vite compris la dynamique du « bon sauvage ». À son arrivée à Paris, elle utilise son « corps intelligent » et s’auto-instrumentalise pour se libérer, développant une corporalité animale « naturelle », qui fait d’elle la première étoile noire en France.
Si l’esclave Sawtche ( la Vénus hottentote) était placée dans une cage comme un objet de désir, Joséphine Baker devient volontairement un personnage curieux, digne d’une exposition universelle. Mais qui désire une curiosité couverte de bananes ?
« [Lorsque l’on] examine la nature de l’accueil que les Européens lui ont réservé, on constate le même rejet raciste, mais exprimé de manière autre, un racisme subtil et biaisé qui a fait d’elle, la représentante d’une sexualité primitiviste débridée et diabolique à la fois, une sexualité noire capable d’assouvir tous les fantasmes érotiques du mâle blanc, chrétien et dompteur du monde sauvage. »
WENDL, Tobias. (2006).
Pour être libre, Josephine Baker devait mettre son corps au service du désir exotique. Cette relation se prête à plusieurs lectures, mais celle qui nous intéresse ici, c’est celle de ce « corps intelligent », tour de force toujours aussi pertinent dans le monde contemporain.
My body ≠ Ta chose est un projet où l’autre est intentionnellement réifié pour survivre à l’exotisme. Évoquant l’esprit de Joséphine Baker, l‘exposition n’a pas vocation à dénoncer ou victimiser. Au contraire, l’intention est de mettre en lumière des dynamiques où le contrôle de l’autre est exercé à partir de sa propre corporalité. My body ≠ Ta chose montre une sorte de « servitude volontaire » où le freak est un piège au service de l’autre. Des œuvres où l’artiste se moque de l’archétype tropical-sauvage à travers ce symbole ≠ qui représente l’inégalité et aussi la non-appartenance.
Ce dispositif ne se limite pas à la manipulation du désir. Dans d’autres contextes, le corps, de manière intuitive, peut se défendre avec une attitude « sauvage », face à l’agressivité du regard de l’autre. Un exemple majeur est l’œuvre Laughing Alligator créée par Juan Downey durant un voyage en Amazonie en 1978. Dans cette œuvre, l’artiste et sa famille parcourent la jungle de l’Amazonie pour enquêter sur l’architecture funéraire des Yanomami. Au milieu de la forêt, avec une caméra à la main, à un moment du parcours, Downey retourne sa caméra face aux guides Yanomami qui par instinct sortent leurs arcs et leurs flèches dans un geste intuitif de défense.
Cette animalité intuitive, dans certains cas est aussi un objet de dérision. Dans les régions touristiques de l’Amazonie on voit cette réaction se répéter : les indigènes caricaturent leurs corps et leur culture pour exploiter le regard du touriste. Que ce soit de manière intuitive comme les Yanomami dans la vidéo de Downey, ou prémédité comme l’indigène de l’ethnie Pemón qui se déguise en Pocahontas pour toucher 1$ par photo ; ce processus d’intelligence corporelle est fascinant. Il a été source d’inspiration constante pour plusieurs créateurs et artistes contemporains conscients des dynamiques post-coloniales. Jean-François Boclé, évoque ce dispositif proposant la phrase _Mon cannibalisme avale ton capitalisme_ ; une expression ambiguë qui fait référence directe au fantasme de l’homme sauvage qui se montre « non-soumis » face à l’exploitation blanche. Paulo Nazareth, métis brésilien, se met le crâne d’un cheval sur son visage pour mettre en vente son image d’homme bestial. Cette pièce se superpose à Andrómeda de Desi Santiago, un paysage tropical en silicone translucide qui donne l’impression d’être fait de fluides corporelles. Christto + Andrew où l’archétype tropical devient une image artificielle sucrée en putréfaction.
Fannie Sosa, elle, avec un humour de « youtubeuse » nous présente “Cosmic ASS”, un documentaire dans lequel elle analyse le sentiment symbolique et spirituel des mouvements du Twerk. Ce documentaire pose des bases pour mieux comprendre la vidéo du duo brésilien Barbara Wagner et Benjamin de Burca. Comme une série d’annotations sur les relations entre corps, caméras et mouvements présents dans la documentation d’une danse typique du Nord-Est du Brésil, Faz que vai (set to go) commente les significations du carnavalesque à l’intérieur des diverses stratégies de préservation du Frevo, genre musical et une danse carnavalesque du Brésil, en tant que symbole des corps marginaux et non comme un produit commercial.
Mon corps n’est pas ta chose est un récit intime dans l’espace public. Chacune de ces œuvres parle de protections construites à partir de la mémoire génétique. Chacune parle de ce corps « intelligent et animal » qui se met sur la défensive avec un sourire, quant il se sent exploité… une parade qui ne concerne pas seulement le « bon sauvage ». Cette animalité habite aussi l’intérieur de toutes les femmes hyper-féminines dont le regard glacial et la beauté coupe le souffle.
Ferdinand Bardamu le 5/09/19 avec la galerie
My body ≠ Ta chose : 5/09 -> 26/10/19
Maëlle Galerie 1-3 rue Ramponeau 75020 Paris