Dimoné & Kursed : 100 mots dire
Nous étions à la Boule Noire avant que la nuit tombe sur cette journée de fin mai, encore loin de la canicule. Dimoné & Kursed y amorçaient leur album garni d’appâts, sur une scène chauffée à blanc. Nous nous sommes glissés derrière le rideau noir, côté cour, pour attendre Dimoné qui terminait ses ripailles d’avant live. On sait le sieur gourmet, gourmand des mots cantinés de bouche pleine.
Le rendez-vous était fixé à 20 heures, nous commencerons l’entretien un poil plus tard, après avoir montré pattes bottées, car, chez les martine’s comme chez les gars de Montpellier ; on montre ses bottes plutôt que de les proposer, même si nous ne sommes jamais très loin du plaisir. Mais je m’égare.
Dans les loges, en compagnie de Dimoné et de Hugo, nous défrichons rapidement les quelques mots d’usage pour défixer le cadre de l’entretien. J’ai déclenché le Zoom et Anne commence à « mitrailler » avec des idées derrière la tête qui deviendront des images idéales.
On parle musique, on parle chanson, on parle rencontre et géographie !
Ceci n’est pas une interview, c’est deux poignées de minutes et quelques, des instants avant la scène, avant que la métamorphose aie lieu.
Qui a eu l’idée de réunir ce groupe de 4 garçons élevés au son de Seatle (Nirvana en tête), influence d’un rock toutes guitares dehors et Dimoné qui depuis 20 ans tournait avec Jean-Christophe Sirven, au répertoire à la langue acérée et électro-rock qui sublimait les chansons et le métamorphosait en icône botté à l’élégance rock ?
Hugo, l’un des deux guitaristes de Kursed, connaissait la pochette du dernier album de Dimoné… Les abeilles en guise de barbe, lui laissait imaginer un artiste intriguant. C’est une rencontre qui part de l’envie de Dimoné. L’envie d’avoir un groupe. Son duo avec Jean-Christophe Sirven parlait de cette absence. Absence de musiciens, l’absence de groupe. L’envie de pallier cette absence, de changer, de se retrouver avec un groupe.
« C’était de passer de l’ellipse à la satisfaction ». L’envie de se faire « tricoter une veste » par des guitares, par une autre vision, d’autres hasards, raconter à nouveau une nouvelle histoire.
Montpellier comme point de rencontre, la jeunesse et l’insouciance d’envoyer le son, remet en question le minimalisme scénique jusqu’ici de mise dans le travail live de Dimoné. Lorsque Dimoné prend la guitare acoustique pour chanter quelques titres devant les Kursed, lors d’un apéro à la maison, Hugo est impressionné par cette simplicité et cette radicalité de venir chanter à froid des chansons originales pour qu’elles viennent peut-être s’électriser au contact des 4 garçons et que leur alliage fusionne avec ce rock anglo-saxon. De la langue qui s’accentuerait encore davantage avec les guitares et les accords de chacun. Hugo le reconnaît, ça l’a impressionné, cet artiste qui vient se frotter pour espérer se piquer à de nouveaux arrangements, à de nouvelles couleurs, à de nouvelles envies, à de nouveaux désirs…
Dimoné avait envie de se « recompliquer » la vie. De repartir sur les routes en camion avec du monde ! Une anti-crise de la cinquantaine, puisque l’âge n’existe pas quand on sème ni quand on s’aime.
Au-delà de la rencontre, ce disque enregistré en live, cherche, bouscule et se déjoue des règles classique du rock « hexagonale », si tant est qu’il y en est encore un. D’ailleurs est-ce vraiment le sujet, puisque ici on parle de musique d’abord, et de l’attitude qui va avec. L’accent du sud en plus, marqué, affirmé, comme une langue qui sait d’où elle vient. Pas plus, pas « moinsse. » Car la langue est bien le harnais de cet attelage. « C’est dans l’indicible que les choses apparaissent, ce n’est pas dans le formulé (…), c’est dans la trivialité que la liberté va naître et c’est indispensable dans l’enregistrement d’un disque et d’une tournée pour que les choses restent vivantes et vibrantes. »
Puis on cause géographie… Ce disque est traversé par les lieux… Le premier titre « C’est Nickel », scande « Là c’est nickel »… On met ça, un peu à droite, encore un peu, puis trop, puis remet comme c’était. La place, l’endroit, le lieu, le nord à perdre, à l’ouest s’envoler jusqu’à se déplumer la tête, je leur dit : « C’est quoi toute cette géographie qui traverse tes mots… et la musiquE ? »
C’est la fuite… C’est le désir de bouger… C’est ne pas tenir en placE… C’est l’amorce, « une déclaration d’amour au mouvement. »
L’envie d’aller voir ailleurs si on y est, prendre des risques, perdre ses repères. Loin d’être anecdotique, ce désir s’entend sur les compositions travailler en résidence. Se poser dans un lieu, loin de tout, pour créer, chercher, faire bouger les lignes (et on sait qu’elles peuvent bouger les lignes) de part et d’autre. Chacun garde son identité et travaille ensemble. Et sur scène, l’impro peut arriver ou pas. Le mot alors, d’or et d’argent ou doré d’argent, se laisse aller à prendre des risques, à se perdre aussi un peu, mais finit toujours par toucher en plein dans le mille ! Ici, droit devant, entre deux titres, jamais pour combler un vide, mais bien pour lier et délier la langue, la sienne, la leur, la nôtre dans nos silences de notre écoute attentive. Ces images haranguées, jamais arrangées, orange d’un crépusculaire finale, les notes et les hordes sauvages, mais pas que, du groupe « maudit », sans mot dire !
On parle cinéma ensuite, à cause du son très « Ennio morricone » du titre C’est Nickel et de l’inversion évidente de clip « tarantinesque » de L’Amorce où les arrangements sont ici plus « franc du collier », bien droit dans ses bottes… (de sept lieues, l’ogre restera pieds nus encore un peu)…
Les textes et les musiques de Dimoné, ont fait naître clairement des images « réfèrentes » au 4 membres du groupe Kursed. Harry penché sur ses pédales d’effets n’avait qu’à piocher pour mieux déterrer le trémolo de guerre ou les trésors cachés d’un riff parfait ré-inventé pour l’occasion.
Et pour ce qui est des titres laissés épris dans la glace et qui ne sont pas sur cette album, c’est parce qu’il fallait « ouvrir le bal », quelques chansons qui échauffent et chauffent les esprits comme les guitares, mais ne trouvent pas leur place dans le récit de cette rencontre. Dans le lot, Lyon et La Grande Allée sortent leur géographie du jeu, comme épinglées ou aimantées d’une nouvelle photo de famille sur le frigo.
Il faut écouter « Les Pages » pour comprendre cette manie, belle, sorte de manivelle linguistique qui vient au coin de l’oreille vous lire les jeux de mots, comme des habits qui ne font pas le moine.
L’album révèle ce dont nous parlons depuis plus de 20 minutes, un mouvement, une bougeotte sans bouillotte, qui vient vous cueillir comme un matin après une soirée d’été à rosé, avec juste ce qu’il faut de fraîcheur pour vous laisser dans les vapeurs d’alcool de la veille et les odeurs de cargolade généreuse…
Mais le temps est passé, reste un petit quart d’heure de changement de plateau et il faut laisser les amis pour mieux les retrouver sur scène. Juste quelques secondes pour aborder cette volonté de continuer de faire des disques, des vinyles, des cd, alors que les objets sont tellement en souffrance. Dimoné croit en l’objet transitionnel, au doudou, au partage. « Parce qu’on est des animaux, besoin de toucher… » Et puis, le disque impose son « diktat de papa, pas plus de 21 minutes par face », des contraintes qui font naître une certaine liberté.
On se laisse sur ces mots… On repasse le grand rideau noir et on se loge aux avant-postes.
Les premiers riffs fendent l’air, la sagesse inaugurale n’est que provisoire. En quelques minutes, l’esprit du rock invoqué par les 4 garçons possède Dimoné qui n’en demandait pas tant pour assouvir sa dimoniaque envie de mettre La Boule Noire sens dessus-dessous.
Du billard à 4 band(es), avec le sien, le bien « hommé » Kursed. Car « maudits » ils ne le resteront pas bien longtemps. Plus le concert avance, et plus l’ambiance s’électrise. La langue de Dimoné toujours acérée affirme ce qu’elle est depuis toujours : un sabre qui tranche, qui fend l’air et scinde le roc(k), en milliers de petites pierres qui viennent gravillonner les pavillons de nos oreilles.
Les titres sont de puissants hymnes à un rock référencé, mais loin des clichés. Parce que ça ose, on gratte du côté de la noise, on gratte la laque et les vernis d’une chanson française bien polie, trop polie.
Et dans un moment d’improvisation, Dimoné s’accroche, se balance « en tournant 7 fois sa langue dans ta bouche » pour mieux apprivoiser un public euphorique, conquis à la cause et aux effets de scène qui n’en sont pas.
C’est d’ailleurs ce qui ressort de ce live impressionnant de Dimoné & Kursed, une empreinte sincère, musicale, mélodieuse, profondément rock, qui n’imite jamais. Le coup de botte, le coup de spleen, tu l’as lorsque les lumières se rallument et que tu sens parfaitement que tu viens de vivre un grand moment, un de ceux qui viendront se rappeler à ton bon souvenir, comme un sort jeté pour te maudire, mais qui au contraire soufflera sur les braises sans mot dire pour te réchauffer quand tu seras au bord de prendre froid.
Prises de vues et compositions de Anne Mars, le reste de Richard Maniere le 25/06/19
Live : Dimoné & Kursed : le 21/07 aux Transcévenoles à Sumène et le 20/09 à La Grand-Combe.
Dimoné & Kursed - Mon Amorce - Musique Sauvage 2019