96 : un coup de dés jamais n’abolira le bazar de Ramuntcho Matta
Au carrefour de l’écriture, de la peinture et de la musique, Ramuntcho Matta s’est posé avec sa guitare, ses potes et ses mots. Et il en joue avec bonheur, le bougre ! Il y a retrouvé le goût du son et de la chanson. On adore se dandiner au son des ses exactions. 96 est le titre de son nouvel album.
Le projet de l’Autre Quotidien est en grande partie dans sa musique : à l’écoute, avec une culture, un mode d’expression, une vie, et la certitude d’un certain être au monde qui se vit multiple et réactif, avec du recul, de la présence et la prescience d’un bonheur quelque part, pour vivre enfin…
Ramuntcho Matta est un artiste pluridisciplinaire né à Paris en 1960 qui vit et travaille en France. Il est le fils du peintre chilien Roberto Matta, le frère du défunt architecte Gordon Matta-Clark, de Federica Matta et de Pablo Echaurren. Après un début de carrière artistique dans la musique à la fin des années 70, il utilise aussi les arts plastiques par delà son travail de compositeur afin de donner formes à des questionnements, des sujets de création plus singuliers et complexes utilisant parfois le son, le dessin, la vidéo, l'espace, les mots ou des combinatoires. Chris Marker en tentant de définir son travail trouva l'adjectif : "multimedium". Privilégiant souvent le collaboratif il a travaillé avec, entre autres, avec DonCherry, Brion Gysin, John Cage, Chris Marker…
Depuis 2000, Ramuntcho Matta développe sa pratique artistique et collabore au sein du label sometimeStudio à la production d’artistes soit oubliés, soit à découvrir. En 2008, il fonde le projet Lizieres dans le sud de l'Aisne, plateforme de réflexion et d’échanges autour des notions de cultures et de ressources, avec pour objectifs de faire sortir l’avant-garde de son isolement et de donner des espaces de liberté à l’expérimentation.
Cela fait 4 ans déjà que tous les jours je prends bonne note de ce que mon cerveau farfouille avec la réalité de ce qui se passe en moi et au monde par un dessin et un texte je "publie" cela sur les réseaux "sociaux" afin de voir s’il y a un écho dans le monde numérique pour ce qui est fragile et sensible j'appelle cela les desseins du jour, comme si avec cette pratique je pouvais optimiser mes jours et mes nuits, comme s’il existait une gymnastique de la chance...
Emérite guitariste, empêché par un virus, de jouer aussi bien que par le passé, il en a trouvé une autre méthode de guitare sommaire qui lui sied pour s’exprimer. Car, en bon producteur (d’Elli à Don Cherry…) il sait s’entourer et ne fait rien mieux que connecter les autres pour qu’ils accouchent au mieux leur discours. En s’appliquant la méthode, il est un homme-orchestre, un générateur de sons et d’ambiances qui laisse filer la musique en sachant où aller avec les autres. Comme un glissement progressif du désir qui va bien disant …
On se souvint de la phrase de Nietzsche qui affirmait qu’il adorait les êtres fêlés car ils laissaient mieux passer la lumière… Cet album est de cette appartenance, il fuit de partout, il glisse de mot en mot, de sonorité en sonorité, à l’aventure. Abusant avec allégresse du coq à l’âne pour dire sa pluralité, avec ses égarements qui font tourner la machine et pour cela use en toute tranquillité d’un vrai savoir-faire de producteur qui en arrondit les angles et vous balance des paysages comme autant de tableaux et autant de titres. Et c’est d’importance que de le sentir pour l’apprécier ( quoiqu’une écoute à l’aveugle réserve des surprises…)
Ces petits déraillements concoctés en autant de titres ( je ne bois pas d’alcool, mais j’ai gardé l’ivresse ) pour dire un monde qu’on jette en l’air comme un coup de dès qui jamais n’abolira le bazar… Tous les fruits sont dans la nature et toutes les saisons ont leurs légumes. Alors pourquoi cet ancien élève du conservatoire se plaît-il à divaguer pour mieux dire, dire plus, dire plus grand, ouvrir un peu le monde asphyxié d’aujourd’hui ? L’animal Ramuntcho a trouvé sa voix et il ne fait que le dire, avec ses errements pluriels. Bon, quand on a eu pour amis et compagnons d’adolescence aussi bien l’inventeur du cut-up, Brion Gysin qu’un certain Henri Michaux, on comprend mieux l’emploi des jeux de mots frictionnels, de la phrase qui se jette en l’air pour mieux se montrer et se dire , se faire voir et se laisser caresser dans le sens du mot, du pied, pour l’effet qui fait mouche ( je ne suis pas un, je ne suis pas deux, je suis bien plus nombreux, je ne suis pas un menteur, je suis un mensonge… veux-tu venir avec moi pour en faire un songe ? )
Il en va aussi de la musique, savante sous ses airs groovy qui emprunte tous les chemins de la pop ( Cette semaine) à l’avant-garde ‘le Grand Plein’, en passant par l’électro (Aie, aie, aie) , sans jamais se vautrer finir par dire sa très belle multiplicité. Une musique sur laquelle la voix se pose nonchalante, une voix retrouvée sur le chemin d’un certain émerveillement que Ramuntcho décrit ainsi : « Lorsque j'ai accompagné Elli Medeiros à faire « toi mon toit », j'aimais ce rôle d'être dans l'ombre et aider un artiste à aller chercher plus loin en lui la source de merveilleuses surprises...J'ai fait la même chose avec Brion Gysin, Don Cherry et bien d'autres...
J'aime ce rôle de mettre en lumière... cette fois-ci je me suis accompagné moi même. J'y ai mis du temps, c'est sans doute par nécessité, par besoin et par envie, par l'urgence de se sentir à nouveau en vie et retrouver l'envie. Ce disque est résultat d'une fulgurance ; il m'aura fallu 4 jours pour enregistrer cela et bien des années de vies pour en arriver là. 96 heures pour enregistrer cela
Cet album est né des retrouvailles avec Frédéric Dutertre, aux claviers, programmations et rythmiques, avec l’ingénieur du son Romain de Gueltzl et des basses, des guitares, voix et arrangements de Ramuntcho. 96 arbore une filiation assumée avec les albums Saravah de Brigitte Fontaine, d’Areski et de Jacques Higelin, revue 2019. C’est à dire, en zappant totalement les règles de la variété visqueuse d’ici pour parler autrement d’ici et maintenant. On va citer Godard, et dire « La culture est la règle, l’art est l’exception.» On y est et c’est carrément bon !
Jean-Pierre Simard le 16/05/19
Ramuntcho Matta 96 Akuphone
-> par ailleurs le label réédite tous les albums, de ou produits, par Ramuntcho