L'AUTRE QUOTIDIEN

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L’art de la conversation avec Gilles Barbier

Prolifique et inventive, l’œuvre de Gilles Barbier se caractérise par la très grande diversité de ses formes (photo, vidéo, peinture, sculpture, dessin), par son humour débridé, par la variété des sources et des références dans lequel elle puise (science-fiction, bande dessinée, cinéma, philosophie…) et par les correspondances qui l’irriguent, reflet des obsessions de l’artiste.

Pour ce livre d’Entretiens, paru en mars 2019 aux éditions du RegardGilles Barbier, dessinateur hors pair, a copié des entretiens qu’il a eu entre 1995 et 2006 avec des personnalités intellectuelles et du monde de l’art, en illustrant par un portrait chaque personne, réelle ou fictive, citée dans ces entretiens.

Composant un résultat spectaculaire et un très bel objet, le livre, facsimilé du carnet de l’artiste, fait écho à la copie des pages du dictionnaire Larousse de 1966, évoquée dans le premier de ces entretiens et dans le livre de Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvre, copie qui tient ce rôle épisodique, ennuyeux et retardateur, de mise à l’écart du travail, où Gilles Barbier mime l’artiste qui sait où il va, tout en cherchant ce qui pourrait le distraire, le détourner et interférer avec cette trajectoire.

Ces entretiens passionnent justement parce que le refus de tout programme préétabli est au cœur des préoccupations de l’artiste : ne pas imposer un point de vue, une autorité au public, montrer que les choix humains, qui sont aussi ceux de l’artiste, peuvent être instables et incohérents et suivre simultanément des trajectoires multiples de pensée et d’activité, formant aussi ainsi une résistance à toute forme de pression sociale ou politique.

Ces facettes changeantes sont matérialisées par les clones, représentations naines et multiples de l’artiste, qui représentent à la fois un individu indifférencié (une copie génétiquement conforme) et des versions infantiles de l’homme déclinables à l’infini, figures oscillant entre l’humour facétieux et le plus grand sérieux, trait caractéristique de cette œuvre foisonnante et précieuse. Les clones innombrables, à l’image d’un monde en perpétuelle déflagration, résonnent avec le roman de Luke RhinehartL’homme-dé, ouvrage clé dans le processus créatif de Gilles Barbier. Fractionnement de l’image diamétralement opposée au portrait, les clones composent une figure de l’artiste susceptible à tout moment de se rebeller et de résister contre une identité unique et lisse, susceptible de fissurer tout moule dans lequel on voudrait le contraindre.

« Je me suis toujours défini comme pantin, pion, clone, toon ou fantôme. Je n’ai cessé de dire mon inconsistance, je n’ai cessé de décrire mon activité comme un divertissement, tout en rappelant à chaque fois le sérieux avec lequel je conduisais cette « pure dépense ». Je voudrais être parfaitement disponible, comme le corps de l’actrice porno ; je souhaiterais n’avoir aucun poids, n’être jamais propriétaire. Ainsi en plaçant mon activité de copiste, cette vacance dominicale, au centre du dispositif comme s’il s’agissait de la colonne vertébrale de la maquette, j’imagine redéfinir assez nettement ma position. »  (Entretien avec Éric Mangion, décembre 2005)

Prolifique et inventive, l’œuvre de Gilles Barbier se caractérise par la très grande diversité de ses formes (photo, vidéo, peinture, sculpture, dessin), par son humour débridé, par la variété des sources et des références dans lequel elle puise (science-fiction, bande dessinée, cinéma, philosophie…) et par les correspondances qui l’irriguent, reflet des obsessions de l’artiste.

Pour ce livre d’Entretiens, paru en mars 2019 aux éditions du RegardGilles Barbier, dessinateur hors pair, a copié des entretiens qu’il a eu entre 1995 et 2006 avec des personnalités intellectuelles et du monde de l’art, en illustrant par un portrait chaque personne, réelle ou fictive, citée dans ces entretiens.

Composant un résultat spectaculaire et un très bel objet, le livre, facsimilé du carnet de l’artiste, fait écho à la copie des pages du dictionnaire Larousse de 1966, évoquée dans le premier de ces entretiens et dans le livre de Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvre, copie qui tient ce rôle épisodique, ennuyeux et retardateur, de mise à l’écart du travail, où Gilles Barbier mime l’artiste qui sait où il va, tout en cherchant ce qui pourrait le distraire, le détourner et interférer avec cette trajectoire.

Ces entretiens passionnent justement parce que le refus de tout programme préétabli est au cœur des préoccupations de l’artiste : ne pas imposer un point de vue, une autorité au public, montrer que les choix humains, qui sont aussi ceux de l’artiste, peuvent être instables et incohérents et suivre simultanément des trajectoires multiples de pensée et d’activité, formant aussi ainsi une résistance à toute forme de pression sociale ou politique.

Ces facettes changeantes sont matérialisées par les clones, représentations naines et multiples de l’artiste, qui représentent à la fois un individu indifférencié (une copie génétiquement conforme) et des versions infantiles de l’homme déclinables à l’infini, figures oscillant entre l’humour facétieux et le plus grand sérieux, trait caractéristique de cette œuvre foisonnante et précieuse. Les clones innombrables, à l’image d’un monde en perpétuelle déflagration, résonnent avec le roman de Luke RhinehartL’homme-dé, ouvrage clé dans le processus créatif de Gilles Barbier. Fractionnement de l’image diamétralement opposée au portrait, les clones composent une figure de l’artiste susceptible à tout moment de se rebeller et de résister contre une identité unique et lisse, susceptible de fissurer tout moule dans lequel on voudrait le contraindre.

« Je me suis toujours défini comme pantin, pion, clone, toon ou fantôme. Je n’ai cessé de dire mon inconsistance, je n’ai cessé de décrire mon activité comme un divertissement, tout en rappelant à chaque fois le sérieux avec lequel je conduisais cette « pure dépense ». Je voudrais être parfaitement disponible, comme le corps de l’actrice porno ; je souhaiterais n’avoir aucun poids, n’être jamais propriétaire. Ainsi en plaçant mon activité de copiste, cette vacance dominicale, au centre du dispositif comme s’il s’agissait de la colonne vertébrale de la maquette, j’imagine redéfinir assez nettement ma position. » (Entretien avec Éric Mangion, décembre 2005)

Les Entretiens permettent aussi d’explorer les liens de l’œuvre de Gilles Barbier à la fiction et au langage :  sa production, dont il dit qu’elle est toujours précédée de longues phases de rumination et d’écriture, apparaît comme une illustration du texte, et l’œuvre n’est pas séparable du langage qui précède et envahit les dessins, rubans de mots, logorrhée, langage tel un murmure textuel, gangue de chacune des intentions de l’artiste, empruntant à des champs lexicaux, des concepts et des formes littéraires (Franz Kafka, Robert Musil et Robert Walser sont des sources d’inspiration récurrentes) ou hors du champ de l’art (philosophie, mathématiques, sciences, etc.) et qui viennent le nourrir.

« J’ai souvent recours à des mots et des idées venus de champs différents, j’essaie d’alcooliser le langage ; j’essaie de le bourrer, le faire brouter ; le mâchouiller. Dans mes dessins, mes sculptures, j’aime l’idée d’émulsion ; j’aime leur donner la possibilité d’être à côté de leur destination. » (Entretien avec Jean de Loisy, décembre 2005)

Nourrie de culture pop, de bande dessinée et de science-fiction, cette dernière étant vue comme un espace mental de liberté particulièrement précieux, l’œuvre de Gilles Barbier, d’apparence rabelaisienne et joyeuse, est aussi politique, réflexion sur la consommation et la condition humaine engendrée par le capitalisme, avec cette figure de l’homme devenu ver de terre en territoire marchand, un corps consommateur qui se déplace dans son réel en le dévorant, en l’absorbant.

Gilles Barbier

« Dans Ubik, Philip K Dick donne à la publicité une forme virale inattendue. Il l’imagine transformée par la technologie en nano-émetteurs, puis lâchée dans l’atmosphère comme du pollen. Les micro-granules publicitaires se fixent alors dans les conduits auditifs d’où elles diffusent leur message. Mais on peut pousser le scénario. La publicité se miniaturise encore et devient « réellement » un virus. Elle s’infiltre dans le corps et se dirige droit vers l’organe-cible où des leurres génétiques le reprogramment : des crampes d’estomac insoutenables si je n’ai pas ma barre chocolatée CRUNCH®, de la peau qui part en lambeaux sans une crème L’OREAL®. L’organe sollicité assujettit le corps, comme dans la maladie. » (Entretien avec Jean-Yves Jouannais, novembre 2004)

Gilles Barbier - Entretiens 1995/2006 - éditions du Regard
Charybde2 le 15/03/19

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