Sandy Bull, le taureau (électrique) par les cornes

En tombant, par hasard, sur la liste des dix disques des 60’s de Hunter Thompson, sur le nom de Sandy Bull, je me suis de suite demandé pourquoi je ne connaissais pas ce musicien, et pour quelle raison il était aussi injustement oublié en 2019. Une découverte aussi improbable que miraculeuse.

La liste du Dr Gonzo qui comporte aussi bien deux Dylan que le Grateful Dead, Herbie Mann que Roland Kirk, le Jefferson Airplane ou les Stones que le premier Buffalo Springfield et le Sketches of Spain de Miles Davis parle en dernier lieu du Inventions de 1964 d’un certain Sandy Bull et, en cherchant un peu, on tombe sur un musicien du calibre de Leo Kottke et John Fahey surgi avant Dylan sur les trottoirs de Greenwich Village et qui, parmi les premiers, se lança dans la world music à la guitare et au banjo, jouant même atonal sous l‘influence d’Ornette Coleman et se lançant dans des diaboliques inventions pour guitare électrique psychédélique dès 1964… Petit résumé de parcours.

Avec son jeu de picking qui faisait le lien entre le free jazz et la world music, il a défriché des terrains en avant-gardiste, l’oreille tout aussi ouverte sur la musique indienne, le free jazz et le folk pour filer ensuite vers l’électricité et le psychédélisme. La légende voudrait même qu’il ait tenu la basse lors du premier concert de Patti Smith… Tel était Sandy Bull (1941/2001).

Fils du rédacteur en chef de Town & Country, Harry Bull et de la harpiste de jazz Daphne Bull, Sandy voit ses parents se séparer peu après sa naissance et va développer rapidos quelques addictions comme l’étude de la musique et une passion pour le sirop contre la toux… Découvrant le banjo à un concert de Pete Seeger à 12 ans, il prend ensuite des cours avec Erik Darling des Weavers à 15. A 18, après avoir découvert l’héroïne avec des musicien de jazz, il se fait arrêter pour avoir raté le cambriolage d’une pharmacie. A 19, en 1960, on le retrouve partie prenante de la scène folk de Cambridge aux côtés de Joan Baez et s’intéressant au free jazz version Ornette Coleman et à la musique indienne de Ravi Shankar et Ali Akbar Khan.

A 20, on le découvre à Greenwich Village, jouant du banjo atonal et de la guitare, en incorporant de la cornemuse dans son set. L’année suivante le voit tailler la route en Europe et en Egypte, disciple de l’oudiste Hamza el Din, futur collaborateur de Steve Reich et du Grateful Dead.

En 1964, à 23 ans, il a déjà enregistré deux albums pour Vanguard où il révèle une imparable technique de picking sur des disques où il joue aussi bien de la guitare, du banjo, de la guitare électrique que de la basse électrique et d’une cymbale au pied.

Musicalement on y retrouve une science du drone issue de ses goûts arabo-indiens (à la même période que la Monte Young avec John Cale et Tony Conrad), le goût de la note basse tenue et un talent de picking équivalent à ceux de Kottke et Fahey, tout en jouant modal en open tuning : L’effet de drone est vraiment simple et en même temps, il est immanent dans ma musique, y apportant un effet ondulatoire du plus bel effet. Sandy Bull

On ajoutera que l’effet, en plus d’être quasi hypnotique s’avère envoûtant et place Bull comme un des inventeurs du psychédélisme… Et avec ses albums, on découvre une palette musicale assez époustouflante qui accompagnée de Billy Higgins, le batteur d’Ornette Coleman va des Carmina Burana de Carl Orff à la musique de la Renaissance de William Byrd, en passant aussi bien par la musique écossaise traditionnelle que celles de Ray Charles/Pops Staples, Bach, Louis Bonfa, Guillaume de Machaut et Chuck Berry. Eclectisme, quand tu nous tiens !

Mais c’est le second album, Inventions for Guitar and Banjo de 1964 qui enfonce définitivement les conventions musicales avec le morceau-phare Blend II une improvisation de 24 minutes qui reprend le Blend du premier album joué au banjo, à la guitare acoustique en y incorporant aussi bien des thèmes de Coleman que d’autres composés par Ali Akbar Khan, Pretty Polly, de la musique libanaise et d’Afrique du Nord, qu’Oum Kalthoum. Et je vous laisse découvrir la version électrique parue en 1969 sur E Plurubus Unum.

Jeff Beck avec les Yardbirds, George Harrison avec les Beatles et Brian Jones avec les Stones ne découvriront ces sons qu’un an plus tard. C’est tout dire. On peut ajouter aussi qu’avec ces albums, on a l’impression d’écouter quarante ans avant Radio Nova en plein world mix et on vous conseillera aussi bien les deux premiers albums Fantasias for Guitar & Banjos qu’Inventions for Guitar & Banjos et si vous ne les trouvez pas, la compilation (tous chez Vanguard) Re-Inventions Best of the Vanguard Years : Sandy Bull. Tous excellents, une aubaine.

Jean-Pierre Simard le 25/02/19