Before #1 de Johann Le Guillerm, éminemment voluptueux…
Changer de point de vue, implique sinon un déplacement, du moins une mise à distance de l’objet que l’on regarde. Dans ces instants singuliers, alarmants où l’on perd toute distance avec l’objet, et l’information en particulier, la CoOp d’artiste de Johann Le Guillerm, en ce moment à la Maison des Métallos, prend une tournure quasi politique.
Vendredi soir dernier, avait lieu le premier Before #1 de cette nouvelle « formule » à la Maison des Métallos, qui laisse la liberté à l’artiste d’inviter d’autres artistes, mais aussi des scientifiques, des écrivains, des historiens… (liste non exhaustive) à partager un peu de l’univers développé par l’artiste en « résidence ». Ces invitations, résonnent /raisonnent avec les propositions artistiques développées tout au long du mois.
Ainsi, lors de cette première fiesta, nous avons investit la grande salle pour « agiter nos neurones » en compagnie de l’auteur-illustrateur Guillaume Duprat et du chercheur au CNES Jacques Arnould.
Le plaisir à écouter ces agitateurs de point de vue passe sans aucun doute par les images que notre inconscient se fait du monde. Nous savons que la terre est ronde et, pourtant, regardons toujours aussi loin pour jouir d’une ligne d’horizon parfaitement plate. Lewis Caroll qui faisait allusion aux « antipodistes » s’en régalait déjà, imaginer l’autre la tête à l’envers ne nous fait pas construire une image à l’endroit de sa propre existence. L’autre est « un autre point de vue ».
Guillaume Duprat collecte depuis plusieurs années les visions du monde d’ailleurs, c’est à dire loin de notre propre regard centré, occidental, et blanc. Puis il les dessine pour mieux les comprendre… Une cosmographie de l’à peu près, d’un imaginaire fait de croyances, où l’on descend aux cieux, grimpe le monde a cru et nage dans les fleuves limpides qui n’ont jamais le cours tranquille.
Confronter ces images au regard du chercheur qui n’est pas sans malice, donne le ton de la soirée. Une espièglerie provoquée par Johann Le Guillerm qui doit jubiler par tant de points de vues exprimés et qui relativise notre propre vision du monde.
L’univers n’est pas ce que l’on croit et on pourrait presque s’avancer à dire qu’il y a autant de découvertes que de regards. A les écouter, le notre est plus humble, le monde a des limites, et si elle n’existent pas, l’homme à tendance à se les représenter pour mieux les apprivoiser.
Penser le monde autrement c’est aussi accepter les différences et regarder la réalité du quotidien avec une sorte « d’ingéniosité »… Une innocence toute réfléchie. Un désir politique de ne pas voir qu’un seul côté des choses et tout le quotidien d’y changer d’un coup !
Le déferlement constant d’images que nous impose le flux des chaînes d’infos et nos fils de réseaux sociaux nous empêchent de voir le monde. Comme le suggérait Daniel Arasse à propos de l’ère des « monstrations » immenses, « on a plus à voir mais on y voit de moins en moins ». L’analogie est presque un lieu commun, tant nous savons tout aujourd’hui tout le temps, alors qu’en réalité nous ne savons rien, ou pas grand chose !
Alors s’arrêter un peu. Prendre du recul. S’éloigner du brouhaha et des hurlements pour mieux écouter nos murmures intérieurs, pour mieux se fier à nos intuitions, à nos imaginaires ou aux autres pensées que l’on entend presque jamais, est une nécessité si l’on veut survivre à la réalité du quotidien.
La CoOP d’artiste que l’on avait suivit en septembre avec le graphiste plasticien Malte Martin, puis celle-ci que nous suivons avec Johann Le Guillerm, nous proposent cet art de la distance. Ce privilège de déambuler dans la salle claire et d’espérer surprendre les « Imperceptibles » (à suivre dans la prochaine chronique), de rejouer à la marelle sans marche qui mène au ciel, mais avec des flèches qui nous font prendre conscience que le point de vue change la réalité des choses - et que - ce pas grand chose, élève nos imaginaires pour résister.
Il vous sera possible d’expérimenter concrètement la réalité des sons qui se forment grâce aux installations du musicien Alexandre Piques qui avec quelques plateaux d’acier et du bicarbonate révèlent la plasticité du son. L’air est invisible, le son ne l’est pas. En prendre conscience, former des « images » de graphisme sonore, nous fait toucher la poésie de l’air. Cette appréhension sensible, presque magique, donne une dimension très clair de l’impact du son dans nos vies, et dans nos corps. La chair du son existe (celle que je nomme depuis déjà si longtemps) et elle peut dessiner dans une simple coupelle d’eau éclairée les plus belles ondes du monde.
Alexandre Piques qui fait partie de la troupe du Cirque-ici, invite avec une rare générosité et simplicité toutes les personnes présentes à toucher les drôles d’instruments qu’il a installé pour le temps d’un instant laissé une empreinte d’un geste (celui d’un archer au bord de la feuille d’acier) ou d’une voix dans le « tonoscope » qui pourrait redéfinir le métier de plombier comme celui du chanteur sous la douche… On comprend au vue des images laissées sur les plaques comme des tableaux abstraits exposés dans la salle noire que la poésie du quotidien ne demande qu’à surgir.
On pense au film magnifique sur le compositeur italien Giacento Scelsi : Le Premier Mouvement de l’Immobile de Sebastiano d’Ayala Valva, sorti en début de cette année, dont les images me reviennent instantanément au moment même où je vois apparaître les formes du son…
Après cette expérience, les sons ne nous parviennent plus comme avant. On peut se laisser porter par les sensations graphiques des petites particules de poussières invisibles qui entourent nos corps, comme autant d’éléments bienveillants pour rendre notre rapport au monde plus voluptueux…
À suivre…
Richard Maniere le 15/11/19
Johann Le Guillerm - Tout reprendre à zéro pour repenser le monde par soi-même - Maison des Métallos