R.I.P. Nick Tosches, de Dante au rock et retour
Nick Tosches est mort à l’âge de 69 ans, à son domicile de Manhattan, ce dimanche 20 octobre 2019. Selon le New York Times, il était malade depuis quelque temps. Journaliste pour des magazines de rock comme Cream ou Rolling Stone, il avait écrit des essais sur le rock (Héros oubliés du rock'n'roll), les biographies de Jerry Lewis (Hellfire), Dean Martin (Dino) ou du boxeur Sonny Liston (Night Train), et des romans noirs comme La Religion des ratés et Trinités. Les premiers publiés chez Allia, les seconds à La Noire.
Par ordre d’apparition via les traductions, Nick Tosches, après Hunter Thompson, Lester Bangs, Nick Cohn, Greil Marcus, Dave Marsh et d’autres fait ici surface avec Trinités, un roman noir qui sort chez Gallimard et met une belle baffe par sa connaissance du milieu et se donne alors comme le premier polar écrit par un rock critique à faire aussi touffu et accrocheur. Dans le même registre, quelques années plus tard, l’Olivier sortira un roman de Gil Scott-Heron, Le Vautour écrit à 21 ans alors qu’il en fac à Columbia et parle de l’intérieur du mouvement black et de la vie new-yorkaise dans toutes ses acceptions.
De lester Bangs, il disait simplement ceci : "Il était un romantique dans le sens le plus grave, le plus triste, le meilleur et le plus ridicule de ce mot usé. Il ne pouvait pas simplement se taper une fille ; il devait tomber amoureux d'elle. Il ne pouvait pas simplement détester quelque chose ; il devait s'échiner à le combattre."
Après le free jazz écrit de Lester Bangs, la virtuosité poétique folle de Hunter Thompson et les thèses politiques argumentées de Marcus ou les dérives ( historiquement les premières) de Nick Cohn, on y découvrait un autre style, un truc virtuose - mais servi autrement, la patte Tosches qui tient en haleine dans les polars et qui tire des conclusions dans les biographies inégalées de Dean Martin ( Dino) que Tosches met bien plus haut que son pote Sinatra - la bio modèle d’après beaucoup de gens ( je ne suis pas loin d’être raccord, à ce propos… ). Mais là où il intrigue le plus, c’est dans son écriture pour les magazines où il développe un personnage vraisemblable de ripailleur alcoolo-defman, comme dans Confessions d’un chasseur d’opium - en résonance au Thomas de Quincey et ses Confessions d’un mangeur…
(...) l'opium était considéré comme efficace dans le traitement du diabète.
L'idée de violer la loi me posait un grave problème. Mais j'ai toujours souffert d'une autre maladie ; le désir de vivre. Ne pas faire tout ce qui était en mon pouvoir pour sauver ma propre vie aurait été violer la loi de Dieu et de la sainteté de la vie. Je délibérai. Je méditai. Je priai. Je m'ouvris de ces pensées à un prêtre – sans lui parler, toutefois, de ma vision des jolies gambettes sortant des robes fendues de putes droguées ; à quoi bon ? - et il me dit : ''Allez-y.'' Je me sentis mieux. Désormais, si jamais je devais entrer en conflit avec la loi, je pourrais dire que c'était la faute du prêtre.
A propos du rock, il disait aussi, lui qui était allé fouiller au plus profond des poubelles de l’histoire dans Réserve ta dernière danse pour Satan : On peut dater les débuts de l'âge d'or du rock n'roll à 1945, quand la musique noire urbaine branchée a divergé en deux courants révolutionnaires distincts : le courant froid, plus cérébral et apollonien du be-bop, et le torrent plus fébrile et dyonisiaque du rythm'n'blues, dont les pionniers furent des "brailleurs de blues" propres à l'époque comme Wynonie Harris. Cette époque dura un peu moins de dix ans.
Mais, Dans la main de Dante, il tentait un truc assez inédit, à savoir marier son savoir sur la Divine Comédie à une trame que n’aurait pas renié Umberto Ecco pour un polar haut de gamme et touffu…
Ailleurs, dans Sous Tibère, il montrait une certaine clairvoyance, nourrie de la lecture des anciens …
Nul besoin de perdre son temps à apprendre l'histoire politique de notre monde. C'est toujours la même chose qui se répète sans cesse. D'autres noms, d'autres visages, mais toujours la même broderie, où seuls varient les détails superflus. Il suffit d' apprendre une brève période, et de la bien connaître, pour comprendre l'éternité. Car éternelle est la nature de la tromperie, de la cupidité et de la faim bestiale de pouvoir qui, sous des dehors plus raffinés, constitue l'essence et la somme de la politique.
Dans une interview à Télérama en 2013 il avouait : « Voilà trente ans que je porte cette question, révèle l'auteur aujourd'hui. Trente ans pour arriver à cette forme de sagesse qui consiste à renoncer à trancher. Renoncer à l'illusion de savoir ce que sont le bien et le mal. Accepter simplement ce souffle de la vie qui nous est donné à l'origine, en reconnaissant le caractère divin de cet inexprimable qui est en nous. Et assumer sa liberté. »
Qu’ajouter à cela ? Qu’il faut le lire pour entendre ce souffle si particulier, sa propre musique et tout le bien qu’elle fait… R.I.P. grand homme !
Jean-Pierre Simard le 21/10/19