Viens boire le rooibos avec Ceder de Cara Stacey & Camilo Ángeles
Comment parcourir des milliers de kilomètres sur la planète en moins d'une heure ? Comment rencontrer les peuples du monde ? Comment toucher la nature de notre paume et se laisser caresser par elle ? CEDER esquisse une réponse…
Une piste s'ouvre ici avec Ceder, le dernier album de la musicienne Cara Stacey en duo avec le flûtiste et instrumentiste Camilo Ángeles. Dès la première plage, partir. L'appel du titre Jazmin introduction de moins de 2 minutes ne "donne pas le LA" du disque, il offre "sa main", et nos doigts délicatement pris s'entrecroisent et se laissent emmener pour un voyage hors du temps, hors des villes, du monde.
Rejoignons l'essence même de l'humanité. Au-delà de ses origines... Dansons en soulevant la poussière, décollons nos rétines sur les lumières des feux ancestraux. Figeons nos corps dans des danses originelles inconnues !
Cara Stacey est une musicienne, compositrice et chercheuse sud-africaine. Elle est pianiste et joue des archers musicaux d'Afrique Australe. C'est avec Camilo Ángeles, flûtiste péruvien, qu'elle offre une sorte de musique chamanique, transport de rêves, lien ténue entre la réalité et un monde parallèle qui nous ramène aux origines de la planète. Avant que l'homme ne prenne tout les droits et peu à peu finisse par détruire tout ce qu'il frôle.
Leur musique n'est aucunement une musique "ethnique", excluante, renfermée sur des traditions. Elle ne s'empêche pas des incursions vers un free jazz assumé. Camilo Ángeles n'hésite pas à donner de la voix en soufflant dans sa flûte et dialogue à la perfection avec le piano de Cara qui "lorgne" du côté de Keith Jarrett (Cederberg).
Un voyage où les morceaux sont des d'animaux que l'on caresse. Des animaux inconnus, incongrus, des chimères qui viennent à notre rencontre sans se méfier de notre incapacité à reconnaître dans leur altérité, les possibles bonheurs d'une vie dépouillée de tous les artefacts de la modernité. On égraine les titres au nom des villes d'Afrique du Sud : Stellenboosch, Cederberg (qui donne à moitié son nom à l'album)... Le mot Cederberg nous fascinait aussi, parce que c'est une fusion du mot seder afrikaans et du mot anglais cedar (comme dans l'arbre). dixit Cara Stacey
Un retour aux sources ? Non, une présence à l'instant, au temps qui se joue ici, le temps universelle, le temps de la tentation d'être la nature, d'être la pierre polie par l'eau fraîche, la roche calcaire cachée sous les strates, le sable rouge d'un désert lointain et intime à la fois... Mais aussi, un "Silbato Azteca" petit instrument flûte en tête de mort, pour conjurer le sort et se moquer de la grande faucheuse.
Objet iconoclaste dans le sens littéral du terme, les titres et les thèmes musicaux de l'album prennent la forme de ces objets sans jamais être des emblèmes ou des images folkloriques. Ils sont une porte d'entrée dans un univers parallèle, un univers oublié, ou plutôt enfouis en nous. Ils sont un chemin qui mènerait vers la rencontre ultime de notre "nous" désincarné et dépouillé de toute mystique.
Un aller simple, vers une musique qui ne triche pas. Une tentation à céder à toutes les tentations, riant de la toute première (celle du fruit défendu), et de toutes celles qui suivent pour mieux y succomber.
Richard Maniere, le 17/05/2018
Ceder de Cara Stacey & Camilo Ángeles, Kit Records