Résident français de Pantin et artiste payant ses impôts ici, il y a peu de chances que Jacques Higelin, décédé vendredi dernier 7/04/18, aie des funérailles nationales… Et c'est tant mieux !

Sarkozy s'était fendu d'un communiqué à la mort de Bashung, Jupiler la petite bière n'a pas fait de commentaire audible ni remarqué sur le décès du Jacko à 77 ans. Pas de bol vraiment, s'il avait attendu encore un an, il n'aurait plus eu à payer son abonnement au Journal de Tintin… 

Pour certains, il marque l'envol du rock d'ici en 75 avec son somptueux BBH 75 et la notoriété qui s'en est suivie, en élargissant la formule jusqu'à décoller vraiment avec le double album Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres. Star à 38 ans, d'éclipses en retour en grâce, d'amour en découverte, celui qui fut tour à tour acteur, comédien, poète et chanteur multi-instrumentiste a passé les années 60 à dépoussiérer les divers registres d'un art majeur vu du côté Brel, Brassens, Ferré et Trénet pour lui infuser surréalisme, jazz , blues, musiques du monde (avec son premier album Areski-Higelin) et rock au passage, en résonance avec son temps. Et ce, juste avant l'arrivée des punks. Pour mieux envisager le spectacle, comme une machine totale liée à la grandeur de son talent et  ses musiciens. Pour beaucoup d'autres, il a aura été l'instant d'oxygène de la chanson française osant tout, sans jamais le moindre regret, se planter faisant partie du jeu. 

Ce qu'il faut signifier aussi, c'est sa découverte de la culture et de la politique pendant qu'il était en garnison en Algérie en 1961 - une découverte qui fera de lui (en plus d'écrire un livre à destination des adolescents de tout âge, (Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans, Éditions Grasset,) un citoyen concerné et engagé de toutes les luttes, inlassable participant au fil des 70's - et plus -aux manifs de soutien et autres fêtes politiques.  

Mais de lui, on retiendra surtout que, compagnon d'oreille, depuis ses débuts d'un monde qui bouge, il aura, comme Philip K. Dick , dit le présent comme nul autre; faisant découvrir avec Brigitte Fontaine et Areski, une nouvelle manière de composer et de s'exprimer dans un torrent inextinguible de poésie libre et totalement free jusqu'à jouer aussi avec l'Art Ensemble of Chicago… 

Il aura surtout réussi à parler comme François Béranger, Bernard Lavilliers, Renaud et Pierre Vassiliu la langue d'un monde en mouvement, vague de fond d'un changement qui dure - mais qu'on n'entend plus beaucoup, sauf dans la rue-  Artiste pop et populaire, grand poète, grand chanteur et improvisateur de génie, drôle de représentant de la culture rock d'ici, au même titre que les suscités, à poser sa pierre d'une expression libre, à faire bouger les frontières, à la  suite des anciens de la chanson millimétrée (dite à texte). Et si on emploie aujourd'hui le terme de variété, c'est qu'il colle bien au personnage - pas pour le registre qui comprend aussi bien Maître Gim's que Sheila- , mais pour le passage à un art pluriel qu'il aura servi jusqu'à ses derniers mois. Avant que la maladie ne l'emporte ( comme le Diable !). R.I.P. Crabouif, même si tu n'étais plus le compagnon radio de nos jours d'avant le Net, tu restes celui qui a dit des années durant, dans ton langage à toi, ce qu'il y avait à dire du quotidien en lui collant la forme poético-politique qui lui allait si bien.   

Longue vie dans les étoiles avec Bashung et les autres. Que le  Deutz voit soit frais, royal et en quantité illimité.

Mais déjà le ciel blanchit
Esprits je vous remercie
De m'avoir si bien reçu
Cocher lugubre et bossu, déposez-moi au manoir
Et lâchez le crucifix
Décrochez-moi ces gousses d'ail
Qui déshonorent mon portail
Et me chercher sans retard
L'ami qui soigne et guérit
La folie qui m'accompagne
Et jamais ne m'a trahi
Champagne !

Jean-Pierre Simard le 9/04/18