Passé sous le radar: Brasse coulée dans les piscines lumineuses de Jessica Voss
Violoniste canadienne, Jessica Moss a enregistré un album, il y a presque un an jour pour jour, passé sous les radars mais recroisé alors que l’on brasse à « bras raccourci » jusqu’au printemps tardif, il faut s’y plonger pour qu’il (re)vienne (le printemps et notre amour).
Cela commence par une litanie au violon seul. Une phrase qui parcourt simplement une ligne claire, orientale. Une intro qui se double puis vient peu à peu se troubler. Entire Populations premier titre fleuve de cet album est en 4 parties, mais ne se coupe jamais.
Le deuxième mouvement (Part.II) introduit un chant par des cris de loups, une meute aussi inquiétante que fascinante. Et ces litanies : Entire Populations, incantations qui ne se cantonnent pas à une répétition, elles bougent et brouillent, elles s’entremêlent, entre elles, en canon, en léger décalage, à l’unisson et le violon toujours, en boucle, en nappe, tend l’entièreté du mouvement.
Mystérieux mais captivant, il se dégage de cet album une esthétique enveloppante, comme si nous nagions dans une eau amniotique, salvatrice. Pas de lassitude, le morceau laissant derrière lui les voix, pour laisser apparaître « ces » violons (en boucle) quasi synthétique dans leur traitement mais au timbre sensuel, pour faire naître un violon qui dialogue avec le premier mouvement. Une seconde ligne orientale elle aussi, mais jamais caricaturale. Un solo d’une grande sobriété qui prend sa place dans les médiums et les graves.
Jessica Moss est une performeuse. Seule au violon, à la voix elle défie l’apesanteur, et en musicienne expérimentale de talent, va chercher dans son violon, les timbres, les failles, les beautés cachées dans les glissandos classiques. On pense évidemment à la musique dite « répétitive », Steve Reich comme figure tutélaire, à la différence peut-être que le violon génère des sons qui « facilitent » les phases et leurs infimes décalages. La part de hasard semble moins chaotique. Pas de cluster ici, pas de césure dans le phrasé de la violoniste. Une volonté « entire » de ne jamais briser la magie des première volutes.
Ça s’élève dans les cieux étoilés d’une nuit glacée, et leur vision réchauffe à elle seule l’atmosphère. Une réussite !
Les deux derniers mouvements Part.III et Part. IV sont de petites boucles parcellaires, qui apparaissent et disparaissent pour laisser le violon venir tour à tour, en deux lignes, étirer doucement l’impression natale de notre avancée dans l’existence, comme dans celle du morceau qui prend corps.
Ce titre de 24 minutes environ ne prend pas fin dans une débauche de boucle. Bien au contraire. Il s’éloigne, comme les plots du bord de la piscine. Nous après le passage obligé dans le pédiluve, on respire mieux dans l’eau, à suivre la ligne limpide de Jessica Moss.
Si l’album s’arrêterait ici, on pourrait saluer la performance, et patienter jusqu’au prochain solo. Mais avec Glaciers I et II tous les deux en deux parties, on frôle, en archer averti, une épure de l’expérience du son et de ses drones.
Doucement, elle boucle avec une infinie subtilité le violon, maîtrisant les résonances, les échos, les réverbérations et toujours ses glissandos si caractéristique de l’instrument. Elle ne se refuse pas, de poser sa voix, éthérée, bien plus apaisée que sur « Entire Populations ». Une pure mélancolie, romantique et radicale qui se clôt de façon surprenante, une pirouette sonore comme peu de musicien son capable d’en créer !
Elle nous emmène Jessica Moss, avec son universelle envie de faire (un) tout avec son instrument, ses pédales d’effets et son intelligence à ne pas en faire des tonnes. Un disque précieux, qui fête donc sa première bougie dans quelques jours et qui mérite qu’on lui fasse une fête, en plongeant tête la première dans le grand bain, « là t’as pas pied » !
Richard Maniere le 16/04/18
Jessica Moss, Pools of light Constellation records/PIAS