Une certaine cyclothymie free avec Vallancien et Maté
Si le premier est un des grands ingénieurs du son des années 70 et du label Saravah, après avoir collaboré avec Byg Records , le second est un saxophoniste marquant des 70’s et super prof du CIM (le conservatoire jazz du XVIIIe). A eux deux, ils ont commis en 1969 un album à leurs deux noms, tellement à l’ouest qu’il figure dans l’enviable liste des curiosités et albums indispensables de Nurse With Wounds. Il ressort au Souffle Continu.
Certes discrète, la carrière du saxophoniste Philippe Maté n'en aligne pas moins les disques indispensables : que ce soit avec l'Acting Trio, Jean Guérin (Tacet) ou Jef Gilson (Workshop), sans compter ses collaborations en grand orchestre et en quartette avec Lawrence "Butch" Morris, ou sa présence dans le Quatuor de Saxophones et sur le génial L'Enfant assassin des mouches de Jean-Claude Vannier. Quant à l'homme de l'ombre Daniel Vallancien, ingénieur du son peu habitué à être mis en avant sur les pochettes, la collection Actuel du label BYG lui doit énormément (il est aux manettes derrière Anthony Braxton, Don Cherry, Sonny Sharrock ou Steve Lacy), tout comme Saravah pour le compte duquel il a notamment enregistré Areski, Brigitte Fontaine, Maurice Lemaître ou Cohelmec Ensemble : excusez du peu !
Qui plus est, Daniel Vallancien appartient à cette prestigieuse lignée d'ingénieurs du son français aux oreilles ouvertes et souvent eux-mêmes musiciens, même si parfois uniquement de manière occasionnelle : citons Bruno Menny, Daniel Deshays ou Jean-Marc Foussat, qui tous ont eux aussi gravé sous leur nom des opus remarquables. Sous-tendant cette collaboration, l'idée était d'accoucher d'une musique libre, directe et spontanée, bien qu'un minimum réfléchie. Une musique, selon les brèves notes de pochette, voulue "détachée des longues et patientes gestations de laboratoire". Ici, donc : aucun outillage sophistiqué propre aux recherches électroacoustiques, mais principalement une console, qui dans les mains de Daniel Vallancien agit sur la matière sonore instrumentale originale en direct, et la modifie ou démultiplie tout en respectant son jaillissement naturel. Qu'il s'agisse de Paul Méfano, Betsy Jolas, Gérard Grisey ou Jacques Lejeune, de nombreux compositeurs contemporains ayant oeuvré en France ont, à un moment ou un autre, intégré le saxophone à leur travail. Par exemple, Michel Redolfi, du GRIM puis du CIRM, a expérimenté avec le saxophoniste André Jaume le temps d'un disque convaincant (Hardscore).
Pourtant, rien ne peut être comparé à la singularité du dialogue entre Philippe Maté et Daniel Vallancien, décrit par eux-mêmes comme tour à tour "sérieux, sarcastique ou humoristique", avec çà et là des "sonorités angoissantes". Sauf que les mots, y compris ceux choisis par les protagonistes de cet album, ne sauraient suffire à décrire pareil objet sonore, aussi difficilement identifiable, et, pour tout dire : sidérant.
Les premières critiques de l’album disaient même que le son recherché était celui du saxophone à nu : entendez par là, sans avoir recours à la technique, une sorte de quête du son qui allait faire les beaux jours du free, avec des gens sortant des sons inouïs de leur instrument, juste en jouant avec les touches, l’anche ou la colonne d’air, sans recourir au solfège ni au jeu… Ici le sax de Maté est retraité directement à la console pour remodeler le son - ce que fera plus tard Holger Czukay de Can en remixant à l’échelle du groupe, le son en train de se produire. Etrange au premier abord, c’est souvent passionnant - mais toujours passionné. Disponible en digital dès ce 21/12/18, il sortira en vinyle le 18/01/19.
Jean-Pierre Simard le 21/12/18
Philippe Maté/Daniel Vallancien -Souffle continu Records