L'AUTRE QUOTIDIEN

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La Syrie perdue d'Omar Souleyman

Depuis deux albums le son d'Omar Souleyman a radicalement changé. L'ancien chanteur de dabke ( de mariage et de fêtes villageoises) a opté pour la techno et les grands concerts. Et même son ancien acolyte, le clavier Rizan Sa’id a dégagé. To Syria, with Love ouvre donc un nouveau chapitre. Explications.  

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Mawal Omar Souleyman

Depuis 2015 et Wenu Wenu (produit par Kieran Hebden) et le Bahdeni Nami (paru l'an passé sur le label Monkeytown de Modeselektor) avec Hebden, Gilles Peterson et Legowelt, le son d'Omar avait changé, mais restait tributaire de son groupe de base inchangé.

To Syria with Love exhibe d'autres atours : le parolier est resté, Shawah Al Ahmad, mais le clavier qui faisait monter la transe a disparu en lâchant la particularité du dabke au passage. Exit donc Rizan Sa’id, l'architecte co-compositeur de plus de 500 titres, c'est Hasan Alo qui a repris les arrangements en main et son manager Mina Tosti qui est listé comme producteur… 

Et au final, on obtient du dabke et des baladi, nouveau genre,  en tempo médium avec les singles uniquement là pour faire monter la température sur Ya Bnayya et Chobi. Techno et électro sont au rendez-vous pour les nouveaux sons mis en place qui donnent un rendu quasi similaire, mais moins roots dans l'approche.

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Ya Bnayya Omar Souleyman

Cela résulte sûrement du fait qu'Omar ne joue plus ni dans les fêtes villageoises ni les mariages syriens depuis longtemps; depuis son exil turc qui date déjà de nombreuses années. Il a troqué les mariages pour les fêtes techno et les grands concerts et son approche est recentrée sur les sons qui plaisent à ce public spécifique, à base de boucles et de samples, 

On l'entend très bien sur un titre comme Es Samra (La Brunette) avec une intro en quatre-quatre qui envoie le bois avec un synthé qui se place pour faire miroiter la voix du chanteur; tout comme sur Khayen, qui mixe disco funk avec les rythmes plus connus du dabke. La voix reste maitresse du jeu partout - la zik n'est là que pour la mettre en valeur par d'autres moyens.

Et c'est là que le disque intrigue à pulser différemment pour rendre un son connu - quand auparavant, il ne s'embarrassait pas de nuances pour faire s'envoler les rythmes sur le chant qui dirigeait la manœuvre. Et l'effet est assez bizarre qui donne toutes les apparences d'un son oriental, joué par des orientaux qui le font sonner européen pour mieux le restituer à des auditeurs qui l'ont découvert brut de décoffrage et l'ont apprécié ainsi. C'est assez troublant. 

Aujourd'hui, Omar fait s'envoler ses mélodies et monter la transe avec des blips, des samples de guitare et d'oud pour élargir la palette sonore et les effets. La nouveauté, très belle, vient des titres lents qui en arrivent à sonner autrement, comme Mawal - le chant d'exil ou le plus rythmé Chobi qui balance un synthé basse caoutchouteux sur des amples multi-couches de percussions au milieu d'accords de synthé bien coupants.  “…Look upon us, O Lord/Our sadness is larger than mountains/We are in exile, and our nights are long/Our homeland is our/only comfort/We are in exile, and our nights are long/It’s hard to find comfort….” To Syria with Love est donc un album de transition pensé pour élargir son public et garder l'ancien avec ses idées de sons qui gardent une apparence roots, et envoient en même temps, l'évolution pour le public européen, propre à s'y intéresser et le découvrir à ce moment précis. 

On ne va pas faire la fine bouche pour le résultat qui tient super bien la route, mais on se demande pourquoi - ce qui plaît chez Acid Arab ne suffirait pas au succès d'un vieux routier comme Omar Souleyman. Wait & See… L'exil et le royaume, pas la Chute !

Jean-Pierre Simard le 6/06/17

To Syria, with Love - Omar Souleyman - Mad Decent/Because