A la Biennale de Saint-Étienne, piano et design au menu. Reportage
Richard Manière et ses élèves ont vécu à Sainté une semaine, tambour battant, à découvrir, écouter et mettre en place un projet commandé par la 10e biennale du design qui s'y tient et veut revitaliser la ville avec de nouveaux moyens de communication visuels. Mais pas que … Reportage.
A Sainté, durant un mois, et jusqu’au 9 avril, la ville aux 7 cailloux en a cassé quelques uns pour partager une effervescence autour des questions du design et du travail. A l’occasion de la 10e biennale du design, la cité expose les idées, les objets, le graphisme qui simplifient, améliorent, questionnent et cherche à rendre meilleur notre quotidien. Il y a, comme dans beaucoup de manifestations, un IN et un OFF. Le IN, invite Detroit et dialogue avec le temps du travail, ses mutations, ses limites, ses incongruités, sa fatuité sous le joli thème de : Working Promesse, les mutations du travail…
Le OFF, lui, se propage dans toute la ville sous forme d’initiative d’associations et de collectifs cherchant à essaimer dans le quotidien de cette grande sinistrée des années 80, l’idée que le design peut redonner à la ville de sa superbe et garder en son sein ses habitants. C’est l’une des questions que se pose TYPOTOPY depuis deux biennales, qui avec CARTON PLEIN, réaménagent les rez-de-chaussée, la boutique ici bientôt en est un bel exemple, revitalisent les quartiers, alors que les boutiques ferment les unes après les autres et envisage l’investissement de ses lieux abandonnés comme autant de possibles pour redonner espoir et vie à tous les habitants. C’est l’occasion d’inviter des designers pour réinventer des enseignes pour des commerçants en mal de visibilité. Pour la première fois, l’association invitait notre classe de 1BMAGD (Brevet des métiers d’arts Graphisme et Décor, option lettre) du Lycée Eugène Hénaff à Bagnolet pour concevoir, créer, réaliser et poser 3 enseignes d’un quartier historique de Saint-Étienne : un boucher et un fromager, Place Boivin et un bouquiniste-libraire, rue Sainte Catherine. L’enjeu colossal pour ces élèves de lycée professionnel du 93 est de non seulement de « jouer » les designers, mais aussi et surtout, se rendre à Saint-Étienne une semaine entière durant, afin d’y réaliser les enseignes et de les poser. Cet article raconte leur expérience et la nôtre.
C’est le piano qui joue au grès des recherches et des modifications sur Wikipédia qui remportera le succès auprès d’un grand nombre d’élèves. Il y a bien sûr le questionnement sur l’ergonomie et les recherches au travail, le rendement, le management, les statistiques qui jalonnent l’exposition et montrent combien le travail malmène notre vie. Mais ce sont les détails qui paraissent insignifiants que les étudiants vont remarquer.
Your browser doesn't support HTML5 audio
Que peut/doit être le design d'aujourd’hui ?
Il questionne le rapport entre l’objet et le service qu’il doit rendre à tous. Dans la rue de la République, un ancien cabinet de podologie à été réinvesti en partie par la Plateforme Social Design qui recense, promeut et tente de décloisonner entre elles les pratiques de ces concepteurs d’innovation sociale et culturelle. Jusqu’au 9 avril 2017, on peut découvrir le travail précieusement humain de Roxane Andrès, sensible, social et poétique. Dans cet espace «double-vitrine» elle expose une enquête colorée sur notre rapport à la vieillesse. Les visiteurs sont invités à choisir un petit papier de couleur orné de mot évocateur et de le positionner dans la pyramide correspondant à leurs âge. Roxane pense d’ailleurs à une restitution sonore, visuelle ou graphique qui permettrait de se rendre compte autant de la texture des voix des participants donnant chair aux âges, que des pirouettes facétieuses du jeu poétique auquel l’enquête invite naturellement.
Elle a aussi conçu en designer sensible, un objet idéal qui accompagnerait la personne devenue dépendante tout en douceur, une sorte de «valet discret» (l’objet porte d'ailleurs ce nom), altérité douce, compagnon au miroir, qui soutient, mais ne laisse pas dans le passé. Emmener vers d’autres souvenirs à se créer, voilà ce que l’objet propose, tout en étant bienveillant, car on sait à quel point l’attachement aux petites choses devient plus grande, le temps passant.
Le design de Roxane Andrès est définitivement tourné vers l’autre, où l’objet n’est pas matériel d’encombrement, mais incarne un service d’utilité sociale et politique. Car il implique une prise de conscience sur notre rapport à la vieillesse et à sa place dans notre société. Quand le design se pose les bonnes questions et tente d’y répondre avec autant de poésie et d’engagement, il doit/peut être comme cela.
Your browser doesn't support HTML5 audio
Le design, c’est aussi le son… Le projet OUÏE Occasion Urbaine et Ïtinérante d’Écoute. C’est l’occasion d’écouter l’histoire de la ville, dans la ville… C’est une balade visuelle et sonore, sans jamais perdre pied avec les rues, la circulation et son orientation.
Nous n’avons pas pu la faire dans son entièreté, par manque de temps. Cependant l’expérience peut-être menée à distance et il est troublant de retrouver les sons, les voix et l’histoire de cette balade urbaine. Ce projet coordonné par Yoann Coste et Fanny Herbert, mérite votre attention.
Tourné vers l’autre, réfléchir à l’impact qu’à le signe dans l’espace, c’est l’engagement de Typotopy qui à invité les élèves de Bagnolet à créer et réaliser de A à Z les enseignes de 3 commerçants de quartier. Ils s’affairent à concrétiser des idées qu’ils avaient jusque là travailler en classe, sur du papier et à travers des fichiers numériques. Il faut vite trouver des solutions, vite réagir, bricoler, changer d’habitude et se faire confiance. Il faut compter sur l’autre, il faut s’entraider, il faut être courageux. Lorsqu’ils réalisent que les enseignes sont posées, la semaine s’est déjà écoulée et le liens qu’ils ont tissés entre eux, les rencontres qu’ils ont faites, notamment lors de l’atelier organisé par Typotopy, où accompagné d’un designer, ils ont parcouru un quartier de la ville pour y proposer des interventions graphiques, plastiques, signalétiques ou poétiques en tenant compte de l’existant et surtout des habitants, sont le cœur de leur semaine intense passée loin du lycée, de leur quartier et de leur préoccupations habituelles.
Your browser doesn't support HTML5 audio
Ils restent des adolescents, jeunes adultes éloignés de fait d’une culture qui ne semble pas la leur, alors qu’ils peuvent en être les acteurs et les instigateurs de premier choix. L’ambition pédagogique était de décloisonner nos pratiques, de les faire «bouger ailleurs», déplacer les lignes dans nos dispositifs, pour provoquer la Rencontre, pour les aider à se découvrir, à découvrir et à s’enchanter.
Après la joie, l’excitation, parfois l’énervement, l’épuisement que restera-t-il de cette semaine passée à la 10e biennale du design, participant au Off et découvrant pour certains pour la première fois une autre ville ?
Les mots d’Alexandre, jusqu’à ses silences sont au-delà de la pudeur, d’une sincérité non feinte.
Quand je lui demande ce qu’il gardera de cette semaine alors que nous sommes dans le TGV du retour, il me répond : « La rencontre avec la designeur graphique Costanza Matteucci».
Voilà ce que la pratique du design doit permettre: rencontrer l’autre !
Your browser doesn't support HTML5 audio
Envoyé spécial à Sainté : Richard Manière le 7/04/17
Richard Manière est la moitié - et la part masculine - de Martine's Editions (avec Anne Mars qui en est la part … ) déjà responsable ici-même d'un papier sur le guitariste Julien Desprez. A eux deux, ils ont conçu la Dansilettre.