Thurston Moore joue la conscience du rock'n'roll - et ça marche !

Nous sommes en ce moment-même au bord du précipice, et la fasciste en bleu risque de l'emporter. Mais sur ce bord-même, un type joue un rock quintessentiel, du Sonic Youth désossé. C'est grinçant et ça hurle en stéréo. Mais putain que c'est bon: le vertige de la chute avec la beauté avant de sauter dans le vide… Un peu d'histoire.

C'est pas du tout garage, un rien noisy par moment. Mais c'est surtout profondément psyché, dans ce que ça fait bouger les lignes en récupérant ce qui s'est passé depuis, pour mieux le rendre en hommage aux moments précédents. On y entend aussi bien les guitares en duo de Richard Lloyd avec Tom Verlaine dans Television, que celles plus lointaines de Gary Duncan avec John Cippolina du Quicksilver Messenger Service.

Le groupe sonne : l’incontournable Steve Shelley (batterie) l’accompagne et il s’est adjoint les services de la bassiste Debbie Googe (My Bloody Valentine) ainsi que du guitariste James Sedwards. Jusque-là, il n’y a rien de bien étonnant, sauf que c’était Paul Epworth ; le réalisateur pop derrière Adele, Paul McCartney, Florence + The Machine qui tenait les manettes à la prod.

Musicalement, ceux qui sont familiers avec l’univers de Moore ne seront pas dépaysés, même si le climat général de ce disque est plus enjoué qu’à l’habitude. Notre Thurston  n’est pas devenu un adepte du positivisme pour autant, mais on sent qu'il a fourni un certain effort pour arriver à un son plus chaleureux (Epworth job !). Et les amateurs de guitares inventives, de solos à l’emporte-pièce (un brin J. Mascis, on va dire !) et de marathons musicaux mélodiquement efficaces seront comblés. Deux pièces dépassent la barre des 10 minutes et aucune chanson ne loge en bas de 6 minutes, et il a eu l'intelligence de ne pas balancer un album interminable, ramassant ses 5 chansons dans un trois quart d’heure des plus agréable.

Plus on écoute Rock N Roll Consciousness, plus on y revient : pour le volcan sonore situé à la mi-parcours d’Aphrodite, le petit côté Swans avant la finale d’Exalted, le « strumming » de fou furieux qui anime Cusp ainsi que les parfaitement Sonic Youth intitulées respectivement Turn On et Smoke Of Dreams. C’est encore du tout bon, et ce, même si on se retrouve de nouveau en territoire maintes fois arpentés. Le son Moore est tellement distinctif qu’il s’agit pour lui de focaliser ses énergies sur l’écriture de bonnes chansons. Il y arrive à merveille sur ce nouvel album, en revisitant l'histoire du son guitare californien et en le poussant au-delà de ses limites garage 60's et noise 80/90's pour lui coller un nouveau ton qui sonne foutrement 2017… Pas le disque de l'année, mais une vraie bonne surprise qui va tourner en boucle quelques semaines. Et si vous écoutez les paroles, vos y découvrirez même ces thèmes de prédilection qui cultivent culture beat et avant garde. Il y a pire. Non ?

Jean-Pierre Simard le 5/05/17

Thurston Moore - Rock N Roll Consciousness - Extatic Peace