Damn., le cas de conscience de Kendrick Lamar
Damn. sort à peine que déjà, depuis les petites heures heures de la nuit, tous les spécialistes ont frappé avec leur titre à titre pour confirmer ce qu'on savait déjà … Indépassé le Kendrick, mais à chercher autre chose. On va vous expliquer le comment du pourquoi.
Américain et noir sous Trump est tout sauf une sinécure et Mister Kendrick nous en balance la substance au fil de l'album - causes et conséquences sur la population, lui et ses appréciations du monde d'aujourd'hui. Mais il s'il a abandonné le versant jazz qu avait fait de son précédent album, To Pimp a Butterfly, une vraie tuerie, celui l'est aussi, mais d'une autre manière.
Ce qui frappe d'entrée c'est le côté back to the roots du propos, dans la veine du mouvement Black Matters qui ouvre l'album avec un Blood qui le voit vouloir secourir une dame mal en point qui va finalement lui tirer dessous… Partout, la voix en avant, toute de précision et de vélocité au service des titres coup de poing solo ou en duo avec Rihanna, U2 ou Zacari est dans le ressenti du moment 2017. Ce type est une éponge pour tout ce qui l'entoure (voir ceux… )
L'enregistrement a eu lieu en plein milieu du contrecoup des dernières élections US, proposant d'abord, par la bande, un prémix intitulé Untitled Unmastered, qui jonglait avec jazz et funk et lui faisait introduire son alias du moment, Cornrow Kenny qui, depuis, a même participé au The Tonight Show ) où il balançait des titres de son premier jet - CAD l'album auquel tous ses fans s'attendaient dans la droite ligne de Pimp. Mais aussitôt, pour décevoir tout le monde et ne pas surfer sur la vague qui l'a porté au sommet (de son art et du succès), il a décidé de tout changer et l'écoute de l'album le prouve.
La sortie du premier single Humble a fait se demander à tous d'où sortait cette veine auto-flagellatrice… Damn le montre à l'écoute de ses démons mis à jour, au fil des 14 titres, dans une drôle de posture qui le voit se poser nombre questions sur le sens de sa réussite, un petit coup de blues à la Tupac ? La prise de conscience que cette réussite est totalement vaine dans le monde qui l'entoure - et son acception dans la formulation de l'album, tout en alignant les raisons de son désespoir sous forme biblique - putain de religion omniprésente aux USA ( Lust et Pride). Ca a de quoi en larguer plus d'un et sur les sites de fan, les avis sont plus que partagés allant du super merde à woaw - comme si l'idée de tordre le concept narratif du hip-hop pour lui faire dire autre chose que le pimpage habituel réussissait à scandaliser les amateurs de 2017, quand Kendrick Lamar ne veut que lui faire enlever ses lunettes en peau de saucisson pour regarder la situation dans les yeux. Situation dont il est à la fois partie prenante et narrateur. Sur ce terrain, Bob Dylan avait jeté l'éponge avec un superbe accident de moto.
La promenade et le propos sont intenses - mais là où c'est très fort, c'est du côté dialectique car, en affirmant que son succès est là - et ça assure plus que grave (compositions, flow et textes) il remet en question une position qui est la sienne Lonely at the Top, car elle ne lui sert même pas à faire évoluer les autres. De la conscience du monde à la conscience de soi - et retour : Damn. Grand album. Vénéneux qui plus est.
Jean-Pierre Simard le 14/04/17
Kendrick Lamar - Damn. - Interscope ( sortie physique le 24/04/17)