La fanfare de Navarro, entre musique et pouvoir
Jouant des correspondances entre effets optiques et sonores, le Chilien Iván Navarro plonge, avec son parcours immersif, le spectateur dans le noir, au milieu de sculptures de néons comme autant d’instruments percussifs. L’artiste évoque les ambiguïtés du langage et la puissance sociale de la musique et formule sa vision du lien entre musique et pouvoir. Fanfare!
Au cœur de l’orchestre électrique muet, une grosse caisse à double face épelle un mot en lumière, projeté à l’infini par un jeu de miroir, et dont le quasi anagramme se retrouve à l’envers : Blow devient Bomb dans une double ambivalence formelle et linguistique. Les onomatopées lumineuses Slap, Bang, Beat qui ponctuent la visite renvoient autant au rock qu’à la guérilla, à l’agression qu’à la résistance. Tout en niant la fonction originelle des instruments, les œuvres de Navarro produisent une représentation physique du son: immobiles, elles jouent silencieusement une partition, déconstruisant l’écoute et le mouvement.
A la polysémie du terme fanfare, qui renvoie autant à la joie tapageuse de morceaux traditionnels qu'aux orchestres militaires, répond celle des instruments de musique détournés. Né au Chili sous la dictature de Pinochet, lvan Navarro aborde sans relâche les questions de pouvoir et du contrôle : outils de propagande ou d’élimination, le son et le langage peuvent également servir les insurrections. Se souvenir des mains coupées des musiciens dans les stades …
L’artiste dévoile Cymbals, nouvelle série intégrée au projet de recherche sur la musique, initié avec Drums (2009) une batterie montrée dans la salle de projection de la galerie, aux côtés de l’environnement The Music Room IV. Conçue en collaboration avec l’artiste Courtney Smith, celle-ci est une chambre d’écoute active aux murs de bois recouverts de pochettes d’albums du monde entier, chacun représentatif d’un soulèvement révolutionnaire.
Un dispositif concave capitonné permet aux visiteurs de s'y lover, protégés de la cacophonie visuelle des œuvres électriques, pour écouter les morceaux diffusés. La musique entendue, comme celle visualisée, est une boucle sans fin de chansons contestataires, balades de résistance et de célébration qui font entendre une voix unifiée face à l’oppression autoritaire.
A quelques jours des élections, c'est bien d'entrevoir que la musique ne marche pas forcément au pas aviné des chaussettes à clous - et que les enfants nés de la dictature instaurée par la CIA au Chili sous Pinochet n'ont pas oublié de quoi il retourne.
Jean-Pierre Simard avec galerie le 12/04/17
Ivan Navarro - Fanfare 11 mars → 13 mai 2017
Galerie Daniel Templon 30, rue Beaubourg 75003 Paris