Propriété privée - d'avenir pour les voyeurs 

Un super thriller qui regarde et cite Hitchcock, tout en faisant des coucou à Michael Powell, c'est la gageure tenue par ce Propriété Privée de Leslie Stevens qui ressort justement en 4K, restauré et toiletté de frais. Ce film réalisé par le protégé d'Orson Welles était trop barré pour l'année 1959. Mais ne démérite en rien avec les Huston ou Kazan de l'époque. Moite, tendu, grave sexué, mais pas genré. Pépite ! 

Duke et Boots, deux voyous désœuvrés, aperçoivent dans une station-service une séduisante femme blonde au volant d’une belle voiture. Ils décident de la suivre jusqu’à son domicile, une luxueuse villa isolée sur les hauteurs de Los Angeles. Là, ils s’installent dans la maison inoccupée d’à côté afin de pouvoir épier la belle à leur aise.

Doté d’un somptueux noir et blanc, Propriété privée est une réflexion sur le désir et la frustration (tant sexuelle que matérielle) qui fourmille d’idées de mise en scène, à l’image de ce couple ivre semblant danser à l’intérieur d’un verre vide posé au premier plan. Hommage à Hitchcock, avec son héroïne blonde et ses deux marginaux qui fantasment devant leur fenêtre sur jardin en forme d’écran de télévision, le film de Leslie Stevens instaure, avec trois fois rien, une véritable tension sexuelle tout au long d’un huis clos parfaitement maîtrisé. Le récit où se séduit et s’affronte un trio aux comportements ambigus est d’une surprenante modernité, évoquant aussi bien l’homosexualité latente des deux hommes que les envies inassouvies de la femme qu’ils convoitent.

Face à Warren Oates, dont c’est l’une des premières apparitions au cinéma, Corey Allen ne manque pas de charme. Un charme équivoque, aussi attirant qu’angoissant, qui fait regretter sa trop brève carrière d’acteur. Mais c’est, sans conteste, la prestation de Kate Manx qui fascine et marque les esprits. Femme du réalisateur et étoile filante qui s’éteindra quatre ans plus tard, elle apporte à cette histoire un indéniable trouble érotique, que ce soit dans ses poses lascives ou dans sa façon de caresser, avec dépit, une bougie sur la table du dîner. Tourné en quelques jours pour un budget modeste, Propriété privée est un chef d’œuvre méconnu. Un petit bijou du polar noir qu’il ne faut surtout pas manquer. Et comme le dit Le Monde, pour une fois inspiré : Fenêtre sur corps…

Jean-Pierre Simard

Propriété Privée de Leslie Stevens - Carlotta