Il rejette l'"objectivité" : licencié. La mésaventure d'un journaliste trans au Trumpland
Lewis Wallace est entré en journalisme il y a quatre ans grâce à une bourse d'encouragement de la diversité. Et il a apporté son expérience d'homme transgenre dans son nouvel emploi l'an dernier en tant que reporter à «Marketplace» d'American Public Media, une émission de business et un site ouèbe parfois décalé, basé à Los Angeles. Le jeune homme de 32 ans vient d'être licencié après avoir écrit un post sur Medium suggérant que les journalistes - en particulier ceux qui sont membres d'un groupe minoritaire - doivent repenser l'objectivité à l'ère Trump.
«Nous devons admettre que ceux qui s'opposent à la liberté d'expression, à la diversité et à l'équité au niveau de la maternelle sont nos ennemis», a écrit Wallace.
Deborah Clark, une dirigeante de «Marketplace», m'a dit que son rejet public de l'objectivité s'oppose directement aux directives écrites de l'entreprise, qui demandent aux employés de garder leurs opinions politiques privées et d'être neutres. (Le licenciement, lundi, a suivi la décision de Wallace, à la fin de la semaine dernière, de republier son post après l'avoir initialement supprimé à la demande de son employeur.)
Le licenciement de Wallace est emblématique des luttes dans les salles de rédaction à travers le pays. Les journalistes et leurs dirigeants s'interrogent sur le sens de l'impartialité dans un monde redéfini par une administration Trump qui considère les médias comme l'ennemi.
«Les journalistes devraient-ils protester dans l'Amérique de Trump ?», demandait un titre cette semaine sur le site de journalisme Poynter.org. Andrew M. Seaman, président du comité d'éthique de la Société des journalistes professionnels, est cité dans l'article : “Journalistes, je sais que certains d'entre vous voudront peut-être protester, mais vous êtes beaucoup plus utiles en produisant du grand journalisme.ˮ
La plupart des organisations médiatiques dominantes ne veulent pas que leurs reporters ou rédacteurs brandissent des pancartes dans des piquets - que ce soit dans une protestation contre l'interdiction d'entrée pour les immigrants ou à la Marche pour la vie, contre l'avortement.
Les conflits se jouent souvent sur les médias sociaux, et les rédacteurs en chef se retrouvent à faire la police de Twitter pour leurs équipes. De BuzzFeed au New York Times, les rédacteurs en chef ont dit à plusieurs reprises à leurs journalistes que l'impartialité est importante et qu'ils devaient éviter les remarques sarcastiques ("snark")
Lorsque les choses tournent mal, le résultat habituel est une réunion tendue dans le bureau d'un superviseur ou un courriel à tout le personnel rappelant les règles.
L'essai de Wallace est réfléchi et plus modéré que son titre accrocheur : «L'objectivité est morte, et je suis d'accord avec ça.» Ce n'est même pas une idée radicale - elle a fait l'objet de discussions entre journalistes depuis des années.
Le code éthique de Marketplace est clair : les membres de l'équipe "doivent garder leurs opinions politiques privées".
La société a publié un bref communiqué mardi sur le licenciement de Wallace, en soulignant ces lignes directrices, son engagement en faveur de la diversité et sa réticence à discuter des questions de personnel.
Mais Clark a bien voulu revenir sur le contexte dans un entretien téléphonique.
"Cela constituait une violation flagrante de notre code de déontologie", a-t-elle déclaré. "Il n'était pas d'accord - et il n'arrive pas à prendre cette décision [de supprimer son post, NdT]. Cela ne m'a laissé aucune autre option. "
Comme Wallace le raconte, il a été suspendu quelques jours et on lui a dit de supprimer le post. Il l'a fait, mais après avoir réfléchi, il a dit à sa superviseure qu'il pensait qu'il était important de le republier, et il l'a fait. Dans un message de suivi, Wallace a cette réflexion:
"On ne peut pas proclamer qu'on respecte la diversité sans faire de l'espace réel aux réalités d'une personne marginalisée ou opprimée faisant du journalisme", écrit-il.
Est-ce qu'une organisation de presse veut vraiment envoyer le message qu'ils préféreraient que leurs journalistes ne pensent pas ou ne s'intéressent pas profondément aux questions même que leur diversité recherchée est censée représenter? Et que la punition pour qui défend ses positions est le licenciement?
Clark m'a dit qu'elle comprenait que le châtiment semble draconien et qu'elle ne peut que dire que, à son avis, Wallace a «doublé et même quadruplé la mise», ce qui a rendu son maintien insoutenable.
Ce qui est certain, c'est que c'est un sujet qui est grand, vaste et pas près de disparaître. Les journalistes doivent défendre la réalité des faits, dénoncer les mensonges et creuser en profondeur pour chercher la vérité. Le faire de façon équitable, sans être - ou apparaitre comme - partisan est la partie délicate.
Wallace, qui est basé à New York, dit qu'il recherchera du travail en radio ou sur des podcasts, là où il puisse rester fidèle à «ma boussole morale».
Comme il le remarque à juste titre dans son article: «Beaucoup de journalistes qui ont dit la vérité dans des moments historiques clés ont été des cas à part et des membres d'une opposition, ici et dans d'autres pays».
Et dans une interview, il a ajouté: «Je ne veux pas que l'on parle juste de mon licenciement deMarketplace. "Cela devrait susciter une discussion plus large, a-t-il dit, sur les convictions fondamentales et les pratiques du journalisme grand public".
Dans la nouvelle ère, avec des émotions à vif et les règles traditionnelles mises sur la sellette, cette discussion est loin d'être close.
Margaret Sullivan
Traduit par Fausto Giudice
Merci à Tlaxcala
Source: https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/how-one-reporters-rejection-of-objectivity-got-him-fired/2017/02/01/bc5cc9c6-e7ef-11e6-80c2-30e57e57e05d_story.html?postshare=8411485973906118&tid=ss_tw-bottom&utm_term=.0b4f2a6ab89f
Date de parution de l'article original: 01/02/2017
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19814