Cinquante ans sans tourner : la Fresh Cream …
On nous rabat les oreilles avec un certain dieu descendu du ciel après être passé chez les Bluesbreakers de Mayall. Mais la vérité n'est pas là. Le vrai truc, c'est que pour réussir - et impressionner, le producteur Robert Stigwood pour lancer son label Creation Records avait convaincu les trois de jouer ensemble : le batteur autiste surdoué Ginger Baker et le bassiste virtuose Jack Bruce qui n'auront jamais dit à Eric Clapton qu'ils jouaient du jazz… C'était Cream et leur premier envoi fête son cinquantenaire avec un Deluxe très Fresh dans l'âme et en triple album…
En 1966, on compte quatre brutes de la guitare en G.B. : Jeff Beck, Eric Clapton, Peter Green et Jimmy Page; Clapton et Green se suivant chez John Mayall avant de fonder leurs propres groupes à succès Cream et Fleetwood Mac, partant du blues pour dériver vers le psychédélisme. Clapton, Green et Page se succédant au sein des Yardbirds, en changeant bien les frontières du même idiome. Mais le gros buzz de 66, c'est bien sûr Cream que vient de réunir le futur producteur des Bee Gees, Robert Stigwwod qui a aplani - pour un temps- les querelles d'ego entre Baker et Bruce qui se castagnaient sur scène avec Graham Bond et trouvé la formule du super groupe qui défonce tout sur son passage en jammant comme des cinglés (et trouvant la formule du hard rock anglais). Succès immédiat, concerts à tomber et - comme chez Can - télépathie intense sur scène. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents, un extrait des concerts de reformation de 2005 avec la finesse, le son, le magnétisme et l'intensité, sur une reprise figurant sur cet album : Rollin & Tumblin.
Quelqu'un a écrit un jour (Stigwood?) que c'était assez hard de faire cohabiter trois solistes comme c'était le cas; cela donnant lieu à des concours d'inventivité ( et d'égo sur scène). Mais avant que cela ne tourne vinaigre, le temps de la découverte est une tuerie, avant que ne s'installe la formule de chacun pour soi et rendez-vous à la coda qui les a fait exploser. Ici, on a un répertoire de blues pour la virtuosité et des singles pour faire vendre et délirer dans la pop qui fonce droit dans le psychédélisme.
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Fresh Cream atteint la 6e place des ventes au Royaume-Uni et la 39e aux États-Unis. La version britannique ne contient pas la chanson I Feel Free (parue en single) tandis que Spoonful ne figure pas sur la version américaine. L’édition de 2000 contient les deux chansons. En 2003, l’album est classé à la 101e place dans la liste du magazine Rolling Stone des 500 plus grands albums de tous les temps. La version Deluxe vous offre ( comme d'hab) les versions mono et stéréo, mais aussi pour filer la gaule au inconsolables, des versions alternatives mono ou stéréo, enregistrées à divers endroits sur un troisième CD avec des interviews d'époque. Juste fan only, on s'emmerde vite.)
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Et en remettant un coup d'œil sur le tracklisting, on comprend le succès: 4 reprises signées de Willie Dixon (Spoonful), Robert Johnson (Four Until Late) , Skip James (I'm so Glad), Muddy Waters (Rollin & Tumblin) et un certain "Splurge" - mais là gaffe, c'est l'alias comme le Nanker-Phledge des Stones, de la signature blues commune du trio. Et le reste des compos signés avec Pete Brown pour Jack Bruce ( le principal parolier futur dont vous pouvez découvrir le groupe bien barré Piblokto) pour (I Feel Free) ou Janet Grodfrey avec Bruce (Sleepy Time Time) ou Baker (Sweet Wine) qui signe Toad seul, comme Bruce signe NSU et Dreaming. C'est donc apparemment un album de blues bien propre sur lui, qui renvoie une fois aux Américains la musique qu'ils négligent chez eux auprès du grand public, pendant que les Jorma Kaukonen, avec l'Airplane, Garcia avec le Dead, Cippolina avec Quicksilver ou Mike Bloomfield avec le Blues Project défrichent en jouant du blues bien étiré. Comme ici.
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En jouant au shaker avec cet idiome particulier et en étirant les arrangements, Cream invente un autre son que celui des Beatles de Revolver qui sort en même temps. Et il a les mêmes atours que ce que le psychédélisme US fera en 1967, s'appuyant sur les classiques ignorés du blues, il en change les paramètres et en profite pour glisser des nouveaux ingrédients dans la structure de base, des éléments propres à sonner autrement et créer des tubes (Sunshine of Your Love, Badge (co-écrit avec George Harrison ). Cream règne un an sans partage sur la scène britannique, avant l'arrivée d'un James Marshall Hendrix qui va montrer aux héros anglais qu'il est à des années lumières devant eux. Mais bon, c'était 66 et Fresh Cream une bouffée d'oxygène balancée par des virtuoses qui allait donner des idées à beaucoup de gens. L'émulation ça s'appelle; à avoir envie de se glisser entre les lignes pour changer le moiré du son. Un putain de bon album.
Jean-Pierre Simard 2/03/17
Cream - Fresh Cream / Deluxe edition - Universal