le rock des vétérans du Vietnam qui ont tout perdu, la guerre et la paix
Pour l'histoire du rock, l'ère de la guerre du Vietnam (64/75) est considérée comme la plus fabuleuse, démarrée avec les Beatles et finissant dans le tonnerre des New York Dolls. Mais beaucoup s'étaient positionnés contre cette guerre - aussi bien culturellement (on a autre chose à faire de nos vies) - que politiquement (mourir pour l'industrie de l'armement américain, what the fuck ?). Et pourtant, du côté des engagés, le rock a aussi donné de la voix. Mais autrement, comme on va le voir ici.
Avant l'arrivée des punks, le rock remplissait les stades, fomentait la révolution dans la rue, tout en servant de bande son à ceux qui étaient au front à incendier des villages au napalm, avant de se faire torturer, quand ils étaient pris, cf. Good Morning Vietnam - pour ceux qui ne voulaient pas y être, n'avaient aucun enjeu là-bas - sauf à servir de chair à canon à des va-t-en-guerre qui défendaient les intérêts de l'Occident libéral anti-communiste. Et quand ceux-là échappaient à la boucherie, ils revenaient au pays, face à une population qui ne voulait pas de leur retour, pour s'empêcher de flipper avec mauvaise conscience sur ce qui se passait là-bas. The Mickey Mouse Shit …
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Et parmi tous ceux qui parlaient et écrivaient sur la guerre de Hendrix à Fogerty ou Ray Manzarek, seul Country Joe Mc Donald était un viet vet. Cela dit, peu des survivants montaient des groupes de rock à leur retour - il fallait commencer à apprendre à oublier (learn to forget) comme disait Jim Morrison, avant tout autre chose… Et c'est seulement en 1983 qu'un mécano de l'aviation de la Navy, Ed Bankston (photo ci dessus et dessous) s'est mis à raconter les horreurs vécues là-bas dans la jungle, au combat, du fond de sa Floride natale où il était revenu mortifié après le chaos guerrier des ses années de service.
Avec son groupe monté pour l'occasion : les Red Rippers, du nom de l'escadron de marine auquel il avait appartenu, il s'est mis à dévider les histoires vécues et entendues par d'autres vétérans, ce que cela faisait d'avoir été au combat dans la jungle, de survivre - le thème du titre Fireflight - et de s'en sortir (ou pas) comme sur Body Bag, le choc du retour quand tout le monde s'en fout - Who Remembers, ou encore le pourquoi désabusé de l'engagement avec The Dark and Bloody Road. Aucun patriotisme macho à l'horizon, juste le désespoir d'avoir été utilisé, allant de pair avec la résignation du survivant choqué, la tristesse. Et, sur fond de rock sudiste, une honnêteté brut de décoffrage assez poétique et qui parle sans détour.
Bankston en fit un album Over There … and Over Here qu'il tenta de faire signer à un label, mais sans succès - personne ne voulant se rappeler de ces années terribles. Il tourna un moment avec les Red Rippers et vendit son disque par correspondance en s’offrant des publicités sur Soldiers of Fortune (le magazine, puis site internet des vétérans et mercenaires). L'insuccès fit qu'il retourna à un job de col bleu à 40 heures par semaine et oublia la musique.
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En 2013, le label Paradise of Bachelors ressortit Over There…And Over Here, lui donnant enfin une distribution (on le trouve sur le net entre 5 et 40 $). Cela ne fit pas changer d'avis un Bankston à la retraite, mais le rendit heureux de savoir qu'on pouvait trouver son œuvre. En 1983 sortait Remain in Light des Talking Heads, ce qui ne disait pas exactement la même chose. Mais le parfum de vécu des Red Rippers a un côté touchant assez incomparable de vérité.
Jean-Pierre Simard
The Red Rippers - Over There…And Over Here - Paradise of Bachelors