La vengeance d'une enfance bafouée avec Petit Piment

Doublement biberonné au marxisme à l'école et à la tradition orale, par ailleurs, Alain Mabanckou mixe ici les délires que l'on trouvait déjà dans My Life in the Bush of Ghosts d'Amos Tutuola comme remède à l'impossible d'un certain déterminisme social et son Petit Piment les confronte tour à tour pour une singulière histoire de vengeance. Celle de l'enfance perdue.

Alain Mabanckou

Jeune orphelin de Pointe-Noire, Petit Piment effectue sa scolarité dans une institution placée sous l'autorité abusive et corrompue de Dieudonné Ngoulmoumako. Arrive bientôt la révolution socialiste, les cartes sont redistribuées. L'aventure commence. Elle le conduira notamment chez Maman Fiat 500 et ses dix filles, et la vie semble enfin lui sourire dans la gaité quotidienne de cette maison pas si close que ça, où il rend toutes sortes de services. Mais le maire de Pointe-Noire décide d'une nouvelle intervention énergique pour éradiquer la prostitution. C'en est trop. Petit Piment perd la tête. De bonnes âmes chercheront à le soigner (médecine, psychanalyse, magie ou sorcellerie), mais l'apparente maladie mentale ne lui fait pas tout à fait perdre le nord : il a une vengeance à prendre contre ceux qui ont brisé son destin.

Le constat est sans appel, manœuvres politiques, corruption, le destin des individus est celui d'un frêle esquif balloté au gré de la houle que soufflent les dirigeants. La satire sociale prend les traits d'un conte exotique qui ressemble plus à une histoire de vengeance qu'à un récit initiatique. La naïveté perdue du jeune homme n'a d'autre issue que la folie, dont il n'a pas intérêt à guérir (sa détermination à résister aux tentatives thérapeutiques diverses est particulièrement drôle et réjouissante).

Pointe-Noire 2012

Comme il sait si bien le faire, Alain Mabanckou parle de son pays avec amour, mais décrit avec lucidité (et humour) la corruption et le népotisme des dirigeants politiques, la rivalité entre les différentes ethnies et le pillage du pays par des puissances occidentales qui sont au Congo, comme dans d'autres pays d'Afrique, les grands freins à leur développement.

Toute la saveur de la belle écriture imaginative d'Alain Mabanckou réside dans ce roman d'une Afrique fascinante. Entre réalisme, croyances superstitieuses et coutumes, l'auteur nous transporte dans un univers envoûtant aussi concret qu'ensorcelé.

Et bizarrement, cette histoire de laissé pour compte résonne comme le quotidien de la banlieue parisienne de 2017, entre les impossibles sirènes de la réussite et le quotidien du contrôle au faciès. Une Afrique magique et rabelaisienne à lire d'une traite - et en moins de deux heures.

Jean-Pierre Simard

Alain Mabanckou - Petit Piment - Points Seuil