La Normil Hawaiians Touch, en remontée de sève oubliée

Disparus des radars depuis 1986, les Londoniens de Normil  Hawaiians n'ont eu de cesse de faire varier leurs formats musicaux, passant du post-punk souligné d'un  trait de funk, remarqué par John Peel en 1981, à des trucs plus expérimentaux et psyché, avec leur seconde formation. Genre parcours sans faute, mais ignoré pour cause de label (Illuminated Records) qui évitait soigneusement de payer les factures. Alors dégoût, lassitude ? Un peu des deux sans doute, la formation explose et chacun retourne planter ses choux dans le champs stérile de l'anonymat.   

Bon plan du label de ressorties Upset the Rhythm, la redécouverte actuelle d'un groupe pas de bol, les Normil Hawaiians qui ont suivi un parcours expérimental en deux formations de 1979 à 1986, autour de Guy Smith. L'album du jour est celui de la reformation de 1982, quand le changement de la formation les pousse vers l'expérimental en délaissant le post-punk pour filer droit sur l'étrange, limite sublime. Bienvenue dans More Wealth Than Money, un disque introuvable depuis sa sortie ( trop d'embrouilles contractuelles avec le label pour cela). The Beat Goes on !  - single remarqué et monté dans les charts en 81. 

Cet album vraiment barré (et d'un son d'une actualité assez troublante) joue de tous les registres post-punk en les amenant à bout, avec retour à l'expérimentation débridée, au freak  out et même à l'emploi de boucles et samples bien déconnants. C'est comme si Wasted Youth se tirait la bourre avec Wire et Animal Collective - voyez le niveau !

Evidemment, la formation avec violon rappelle immédiatement le Amon Düül II de Chris Karrer qui se serait transporté dans les 80's et aurait compris aussi bien  les débuts de Killing Joke  que les Talking Heads, le son tribal assez en avant sur plusieurs plages. Cette mélancolie toute thatchérienne mise en avant, comme un étendard, quand elle ne retourne pas vers Syd Barrett pour Words are not enough. 

 De l'ouverture au clairon post-punk en deux minutes de Red Harvest aux inédits de la fin dont une version de 20 minutes de Traveling West, c'est un festival d'invention qui passe par du  Television joué en 45T sur New Standard; un titre qui se fond dans le suivant An Old Standard, pour se la jouer anglais et médiéval  avec orgue funèbre et tout le tralala associé. 

Yellow Rain sent son New Order, comme si Ian Curtis y était encore et Return of Hollow Lands sonne comme du Pentangle qui se lâcherait vraiment dans l'impro.  Sally IV  sonne comme du   Godspeed You! Black Emperor adepte du  bruit blanc. Left Alone with Her Pipe ne déparerait pas le Desintegration de Cure. Et le truc le plus marrant arrive peu après avec Ha Ha, The Story of a Sunken Fence et son interview montée en boucle assez hilarante pour délirer en commentaire sauvage sur le présent fuyant désignant du doigt un futur assez cauchemardesque à la Pere Ubu. 

British Warm, le second titre est un océan de neuf minutes qui donne toutes les clés d'un coup et résume le fonds du  propos du  groupe : son titre étant évidemment une anti phrase. ça s'affiche punk arty ( hello Wire) un soupçon de pastiche, une dose de climat délétère allant grandissant, une pincée de jeu spatial tout en écho, et des vocaux qui glissent du parfaitement articulé à l'inaudible, sans coup férir. On ajoute, pour faire bonne mesure, de la wah-wah et du  synthé plongeant; tout cela finissant, sans jamais exploser par se transformer en krautrock. Cela donnant une idée de ce qu'offre le second disque de la réédition, entre inédits et versions démo carrément bien, avec la version déjà citée de Travelling West

La plus belle chose qu'on puisse dire de cet album, assez rapidement addictif  - comme pu l'être la découverte des exactions de XTC - le côté pop en moins, c'est que ce truc s'avère un classique oublié, un jalon du son anglais de 1982 qui voit enfin le jour dans de bonnes conditions. Et comme les disques rock intéressants de 2017 partagent ce côté psyché (garage)  et expérimental, il ne déparera en rien votre discothèque (virtuelle  ou vinylique? ). Bienvenue chez les shamanes oubliés de 1982, un son étrange, une patte incomparable et … en  cherchant des vidéos sur le tuyau, certains  affirment même qu'on  pouvait les voir sur scène l'an passé à  Londres. Cherchez bien, il  doit en rester d'autres traces luminescentes quelque part. Superbe! 

Jean-Pierre Simard le 5/12/17

Normil Hawaiiians -  More Wealthy Than Money  - Upset the Rhythm Records