Lézardes ménagères à la Monnaie de Paris
Women House est la rencontre de deux notions : un genre – le féminin – et un espace – le domestique. L'architecture et l'espace public ont été masculins, tandis que l'espace domestique a été longtemps la prison, ou le refuge des femmes : cette évidence historique n'est pourtant pas une fatalité et l'exposition Women House nous le montre. Elle rassemble sur 1000 m2 et dans une partie des espaces de la Monnaie de Paris, 39 artistes femmes des XXe et XXIe siècle qui se saisissent de ce sujet complexe en mettant la femme au centre d'une histoire dont elle était absente. Coup de torchon sur un enfermement vécu de l'intérieur.
L'enjeu de trouver un espace de travail chez soi a été théorisé en 1929 par Virginia Woolf, qui encourageait les femmes à trouver une chambre qu'elles puissent "fermer à clé sans être dérangé" dans son essai Une chambre à soi. C'est la date de départ de Women House, dont l'ambition se poursuit de manière thématique jusqu'à des œuvres récentes, produites par une jeune génération d'artistes femmes, en passant par les années 70, moment où les artistes femmes se rebellent contre la privation d'espace réel - d'exposition, de travail – et symbolique – de reconnaissance. Dessins, peintures, sculptures, photos, installations et vidéos jouent au ping-pong pour en donner les variantes spatiales, de la cuisine au salon, de la chambre au bureau, en passant par les murs ; en construisant ou déconstruisant ici l'espace supposé féminin - mais approprié et renvoyé comme tel par les artistes.
Les huit chapitres de l'exposition reflètent la complexité des points de vue possibles: ils ne sont pas seulement féministes (Desperate Housewives), mais aussi poétiques (Une Chambre à soi), politiques (Mobile-Homes) ou nostalgiques (Maisons de Poupées).
Les 39 artistes de Women House viennent de quatre continents, de l’historique Claude Cahun jusqu'à une jeune génération : l'artiste mexicaine Pia Camil, l'iranienne Nazgol Ansarinia, les portugaises Joana Vasconcelos ou Helena Almeida, l'allemande Isa Melsheimer ou les françaises Laure Tixier et Elsa Sahal... Certains noms sont connus (Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle, Martha Rosler, Mona Hatoum, Cindy Sherman, Rachel Whiteread, Zanele Muholi) d'autres sont l'objet de redécouvertes récentes liées à une relecture de l'histoire de l'art plus paritaire (Birgit Jürgenssen, Ana Vieira, Laetitia Parente, Heidi Bucher).
Une appropriation de l’espace domestique qui permet à Women House de retracer presqu’un siècle de l’histoire des femmes, telle que des artistes l’ont exprimé grâce à différentes pratiques artistiques, entre enfermement et construction de l’identité, ou encore exil et refuge.
L’exposition est donc monumentale par son déploiement et les sujets, comme résolument féministe, au-delà du genre. Elle est également politique et poétique, par son large traitement des liens entre les femmes et leurs domiciles, en faisant glisser l'Histoire de la découverte de l'enfermement à son actuel redéploiement, de Claude Cahun ( qui sauve le surréalisme de sa misogynie) jusqu'aux dernières vidéo de Birgit Jürgensen et clichés de Zanele Muholi, une autre géographie s'installe. Belle exposition, parcours impeccable avec des œuvres vraiment surprenantes. De la déconstruction du mythe ménager à sa réappropriation contemporaine, glissement de valeur et de fonctions. Très très bienvenu !
Jean-Pierre Simard le 20/11/17
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Women House
Monnaie de Paris, 11 quai de Conti 75006 Paris