Beaubourg joue l'Harmony avec Korine : c'est la rétrospective
Pendant visuel des expérimentations sonores de Nirvana ou de Sonic Youth, Harmony Korine a montré à la charnière des années 80/90 ce que subissait la jeunesse américaine dans son quotidien désabusé, désorienté et immobile. Ici, on se refile le sida (Kids), là on voudrait inventer le monde (Gummo), puis on rentre dans le cadre (Spring Breakers) avant d'en ressortir pour se prendre pour un autre (Mister Lonely). Parcours impitoyable du ratage d'une génération, juste avant Trump (le monde!). Derniers jours avant fermeture. Faut y aller!
Issu de l'underground, Harmony Korine a été propulsé sur le devant de la scène à dix-huit ans avec son scénario de Kids, tourné par Larry Clark en 1995. Il réalise ensuite Gummo (1997) puis Julien Donkey-Boy (1999) qui font de lui le cinéaste le plus provocateur de sa génération. Narquois observateur de la société américaine, il s’intéresse d'abord à la jeunesse et aux individus qui se marginalisent, comme dans Mister Lonely (2007), Trash Humpers (2009), et dans le détonant Spring Breakers (2012), immense succès critique et public.
Au long de sa filmographie, iljoue avec différents styles de narration, mélange diverses textures d’images, de la vidéo au numérique, et réalise également une vingtaine de courts métrages, de publicités et de clips musicaux. Harmony Korine pratique en parallèle la peinture, la photographie, crée des installations et écrit. Ce foisonnement artistique fait l’objet d’une exposition au Forum – 1 du Centre Pompidou.
L'histoire du cinéma, c'est quand même principalement des filles et des flingues ! Si vous enlevez ça, il reste quoi ? (HarmonyKorine 2013)
Votre carrière a commencé, lorsque vous aviez seulement 18 ans avec l’écriture du long métrage Kids réalisé parle célèbre photographe Larry Clark.
Harmony Korine : Un jour, j’étais assis près d’une fontaine à Washington Square Park à New York et Larry Clark était là. Il prenait des photos. J’ai sans doute commenté son appareil, c’était un Leica, et on a commencé à discuter. Il m’a demandé ce que je faisais et je lui ai répondu que je réalisais des films. J’en avais déjà réalisé plusieurs à l’école que j’avais enregistrés sur des cassettes VHS. J’ai dû lui en donner une. Le lendemain, il m’a appelé pour me dire qu’il les trouvait intéressants, qu’il souhaitait aussi faire des films et m’a demandé si je pouvais écrire un scénario pour lui. À cette époque, j’étais vraiment fasciné par certains films sur des adolescents comme Violences sur la ville (Jonathan Kaplan), Outsiders (F.F. Coppola), Los Olvidados (Luis Buñuel) et surtout Pixote (Hector Babenco) : des films qui s’inscrivent dans une réalité adolescente et sont poussés à l’extrême dans une sorte d’hyper-réalité et d’hyper-poésie.
Nous aimions tous les deux l’idée de travailler avec des amateurs. Je n’avais pas la moindre idée de combien de temps il fallait pour écrire un long métrage. J’ai supposé qu’il suffirait d’une semaine et c’est ce que j’ai fait sans véritable ligne directrice. Je connaissais bien le sujet et je connaissais les adolescents qui joueraient dans le film puisque c’était mes amis. Je connaissais donc parfaitement leur langage, le rythme et la cadence de l’argot. Ce film était comme un monologue intérieur. C’était un peu comme Les Dents de la mer. C’est vraiment ce dont je me suis inspiré pour l’écriture de Kids mais à la place des requins c’était le SIDA qui était le croque-mitaine du film. J’ai utilisé cette idée comme dispositif. C’était excitant parce que je n’avais rien vu de pareil, à cette époque, sur la jeunesse aux États-Unis.
Comment avez-vous réalisé votre premier film Gummo ?
Harmony Korine : Grâce au succès de Kids, j’avais le sentiment d’avoir assez attiré l’attention pour obtenir un peu d’argent et réaliser mes propres films. J’ai donc arrêté l’université et j’ai écrit Gummo que j’avais en tête et que je rêvais de réaliser. Le film dans mon esprit était composé d’images qui tombaient du ciel et arrivaient de toutes parts. Lorsque j’y pensais, je ne l’imaginais pas construit de façon linéaire, mais composé uniquement de différentes scènes que j’aimais. Je suppose que cela anticipe une sorte de réalité Youtube, cette sorte d’assemblage de sites qui permet juste de regarder des moments précis. C’est la raison pour laquelle j’ai eu l’idée d’une tornade : je voulais que le récit ressemble à une tornade dans cette ville où tout pouvait arriver. J’avais juste des images en tête qui étaient presque comme des photographies qui n’avaient jamais été prises. En plaçant les scènes les unes après les autres de façon quasi aléatoire, un genre de sens et de discordance apparaissaient. C’est comme si les pages d’un livre manquaient aux bons endroits. Ce que moi j’essaie de faire, c’est de vous faire ressentir quelque chose. Je n’essaie pas de dire quelque chose en particulier, peut-être que le film, lui, dit quelque chose et c’est très bien. À partir des personnages et de ce qu’ils racontent, ce que j’essaie d’obtenir est davantage une expérience physique : une sensation de malaise, de confusion, de transcendance, de stupéfaction, de gêne, d’humour. J’aime que ces sensations arrivent les unes après les autres, très rapidement de façon à ne jamais vous laisser en paix. C’est comme une attaque. J’aime l’idée de la confusion, l’idée que quelque chose soit à moitié vrai, à moitié de la fantaisie et ne pas savoir quand quelque chose commence ou quelque chose finit.
Vous mélangez différentes textures d’images dans vos films.
Harmony Korine : J’ai toujours utilisé différents médiums de même que j’ai toujours peint, écrit et fait de la photo. Tous les médiums (vidéo, analogique, 35mm, 16mm, HD, Super 8...) sont des instruments au son particulier, ils sont comme des crayons de différentes couleurs. Avec Gummo en particulier, je voulais un large assortiment de caméras pour les confier à mes amis, ma sœur, à n’importe qui autour de moi et je leur disais de filmer. Ce que nous tournions en Super 8 et en vidéo, je le projetais ensuite sur un mur blanc et le re-filmais à nouveau en 35mm.
Un film, il faut que ce soit quelque chose qui te nique le cerveau, te défonce, te bousille. On n'est pas loin d'une expérience narcotique. (Harmony Korine.)
Pouvez-vous parler de Spring Breakers, votre dernier film en date, qui a rencontré un immense succès ?
Harmony Korine : Avec Spring Breakers, j’ai voulu faire un film qui était comme un poème pop. J’ai collectionné pendant presque deux ans des images de pornographie estudiantine et des photographies de « spring break » qui est comme un rite aux États-Unis. La première image qui m’est apparue était celle de jeunes filles en bikini sur la plage qui dépouillent des touristes. J’ai écrit le scénario très vite, qui ne devait pas comporter plus de trente lignes de dialogues, ce qui donne cette sensation de répétition dans le film à la façon d’une musique en boucle. Le récit était éclaté et ressemblait plutôt à une nappe narrative. Les éléments du début reviennent à la fin et les éléments de la fin arrivent au début, presque comme un jeu vidéo. Avec ce film, d’un point de vue conceptuel, j’avais besoin de pop stars (Vanessa Hudgens, Selena Gomez et Ashley Benson), j’avais besoin d’y infiltrer un langage pop. Je voulais que les fans de ces stars voient le film.
Vous pratiquez différents arts. Vous définiriez-vous comme cinéaste ?
Harmony Korine : Le cinéma est la première chose dont je suis tombé amoureux mais par dessus tout, j’aime l’art en général. J’aime les films, la musique, la peinture, la sculpture, l’écriture et je ne me suis jamais considéré comme attaché à une forme d’art en particulier. Certes je suis reconnu en tant que cinéaste mais je ne me définis pas uniquement ainsi. À une époque je considérais que tout cela constituait une même vision esthétique, que tout était relié. J’ai eu la sensation que tout provenait d’un même endroit à l’intérieur de moi. C’était un langage que je voulais explorer dans ses moindres détails, alors j’ai tout essayé. J’ai tenté d’écrire un livre, des poèmes, j’ai peint, fait de la photographie, fait des films… Je voulais surtout me divertir pour échapper à l’ennui. Il y a encore tellement de choses que je voudrais faire que je ne pense pas avoir fait un centième des choses que j’ai imaginées.
J'ai 40 ans, je suis marié, une fille. Je ne passe plus mes soirées à fumer du crack et à me taper des putes. (Harmony Korine)
Editing, Jean-Pierre (Donkey-Boy) Simard avec le dossier de presse de Pompibourg 25/10/17
Rétrospective films + œuvres plastiques Harmony Korine ->5/11 à Beaubourg
+ Exposition à la Galerie Agnès B- 44, rue Quincampoix 75003
Derniers jours de la rétrospective à Pompibourg :
26/10 20h CINÉMA 2 Programme de courts métrages, clips et publicités 1 d'Harmony Korine 6€, TR et Abonnés du Festival d’Automne 4€, gratuit LP*
27/10 20h CINÉMA 2 Caput (2011, 6’) et Spring Breakers (2012, 92’)
28/10 20h CINÉMA 2 A Bundle of Minutes (1991, 5’) d'Harmony Korine et Kids (1995, 91’) de Larry Clark
3/11 20h CINÉMA 1 Ken Park (2002, 96’) 6€,
4/11 17h CINÉMA 1 Programme de courts métrages, clips et publicités 2 d'Harmony Korine
4/11 20h CINÉMA 1 Carte Blanche Harmony Korine : Pixote (1980, 125’) d’Hector Babenco
5/1117h CINÉMA 1 Où en êtes-vous, Harmony Korine ? (2017, 10’ environ) d'Harmony Korine et The Lonely, making-of de Mister Lonely (2009, 60’) de Brent Stewart